Tribunal Régional de NIAMEY
Ordonnance de référé N°124 du 20 juillet 2004
SOCIETE EUROPRESS-EDITORES E DISTRIBUIDORES DE PUBLICACOES LDA
c/
COMPAGNIE BEAUCHEMIN INTERNATIONAL Inc.
Le Tribunal,
Par exploit d’Huissier en date du 2 Juillet 2004, la société
EUROPRESS, a assigné la compagnie Beauchemin International Inc. devant le Juge
des référés pour s’entendre :
- Déclarer nulles les saisies conservatoires pratiquées tant sur
les manuels que sur les recettes de Europress, sous astreinte de
1 000 000 F par jour de retard dès le prononcé de la décision à
intervenir ;
- Ordonner la rétractation de l’ordonnance n° 310/PTRN du
18/06/2004 ;
- Ordonner l’exécution provisoire sur minute et avant
enregistrement ;
- Condamner aux dépens ;
A l’appui de sa requête, Europress expose que suite à l’appel
d’offre international n°008/EDU-1/FAD/2002 du 31 Mai 2002, elle fut
attributaire du marché n°112/2003/MFE/DCF du 09/07/2003 ayant pour objet la
fourniture des manuels scolaires du primaire et du secondaire dont notamment la
collection GRIA-Côte d’Ivoire des classes 4ème et 3ème ;
Que compte tenu du programme d’enseignement au Niger, il fut
décidé de changer les livres de Sciences Physiques GRIA-Côte d’Ivoire par
GRIA-Niger ; Lesdits ouvrages ont été livrés aux Etablissements Daouda
pour distribution ;
Que suivant ordonnance n°310/PTRN du 18/06/04, la compagnie
Beauchemin International Inc., société de droit canadien a pratiqué les 23 et
24/06/04, saisies conservatoires respectivement de biens meubles corporels
portant sur des livres de Sciences Physiques 3ème et 4ème
de la collection GRIA-Niger entre les mains des Etablissements Daouda et de
créance portant sur somme de 27 939 871 F, en principal et
1 000 000 F de dommages et intérêts entre les mains du projet I/FAD,
du Ministère de l’Education de base, du Ministère de l’Economie et des
Finances ;
Europress soutient que ces saisies ont été opérées sans preuve
formelle de ce que la compagnie Beauchemin Inc. soit auteur des œuvres saisies
à savoir les manuels scolaires GRIA-Niger, encore de l’existence de GRIA-Niger
lors de l’appel d’offre international n°008/EDU-1/FAD/2002 du 31 Mai
2002 ;
Qu’aucune pièce justifiant le droit de propriété exclusif de la
saisissante sur les œuvres saisies n’a été délaissée à l’appui des
procès-verbaux de saisie ;
Que le droit d’auteur de la compagnie Beauchemin International
Inc. est sérieusement contesté ;
Qu’il n’y a nullement fraude ni dans la réalisation, ni dans
l’importation des ouvrages saisis contrairement aux prétentions de la
saisissante ;
A l’audience, Me De Campos soulève par ailleurs une fin de
non-recevoir s’agissant de l’intervention volontaire du BNDA au motif que
l’article 5 de la loi n°95-019 du 8/12/95 limite ses attributions à la
protection des droits et à la défense des intérêts de ses adhérents, ou alors
il doit prouver la convention signée avec la société de droit d’auteur
canadienne ;
Me De Campos soulève aussi l’irrecevabilité de la compagnie
Beauchemin pour défaut de qualité parce qu’elle ne prouve pas qu’elle est
propriétaire exclusif du copyright ;
Au fond, Me De Campos explique que l’ordonnance n°310/PTRN du
18/06/2004 autorise une saisie réelle, et non une saisie conservatoire ;
Que par conséquent, les saisies pratiquées sont nulles et leur
mainlevée doit être ordonnée sous astreinte de 1 000 000 F par jour
de retard ;
Me Souleymane Yankori, conseil de Beauchemin International in
limine litis soulève l’incompétence du Juge des référés au motif que le Juge de
fond a été déjà saisi ;
Il explique que le Juge des référés ne peut rétracter dans ces
conditions l’ordonnance, à plus forte raison ordonner mainlevée des
saisies ;
Subsidiairement, il fait valoir que la présente instance concerne
le droit d’auteur régi par l’annexe VII de l’Accord de Bangui, et non l’annexe
III, et qu’à ce titre l’exception tirée de l’article 48 annexe III doit être
déclaré irrecevable ;
La Compagnie Beauchemin soutient qu’il n’y a aucune violation de
la loi car elle a fait la dénonciation des saisies dans le délai requis par la
loi et qu’en matière de saisie contrefaçon, la saisie conservatoire est bien
valable car c’est le seul droit dont elle dispose pour prouver la
contrefaçon ;
La compagnie Beauchemin International indique que la présente
instance relève du fond ;
Qu’elle est bien auteur de l’œuvre et disposée à en rapporter la
preuve, et demande par conséquent de débouter purement et simplement
Europress ;
Suivant requête en date du 5/7/2004, le Bureau Nigérien des Droits
d’Auteurs (BNDA) sollicite de recevoir son intervention volontaire à l’instance
conformément à l’article 5 alinéa 2 de la loi n°95-019 du 8/12/1995, et
l’article 61 de l’Accord de Bangui ;
Il demande de rejeter la fin de non-recevoir soulevée par
Europress au motif que le BNDA est un établissement public chargé de la
protection des droits et de la défense des intérêts de ses adhérents, mais
aussi de ceux des sociétés d’auteurs étrangères, conformément à la loi
nationale et aux accord internationaux ;
Le BNDA demande de renvoyer les parties devant le Juge du
fond ;
En réplique, Me De Campos explique que l’irrecevabilité du BNDA
est fondée sur l’article 5 de la loi de 1995, et l’article 60 alinéa 3 de
l’Accord de Bangui ;
Or le BNDA ne rapporte pas la preuve qu’il a signé une convention
avec la société québécoise de droit d’auteur ;
Il soutient que le Juge des référés est bien compétent après la
saisine du Juge de fond ;
S’agissant des saisies pratiquées, Me De Campos soutient qu’elles
sont nulles parce que les conditions de l’article 54 ne sont pas réunies ;
Que la créance n’est pas fondée, et que le procès-verbal de saisie
devrait être adapté au mode de saisie autorisée ;
Que ne l’ayant pas été, l’ordonnance doit être rétractée, et la
mainlevée des saisies ordonnée ;
Sur l’exception d’incompétence
Attendu que la Compagnie Beauchemin International soulève
l’incompétence du Juge des référés au motif qu’elle a déjà saisi le Juge du
fond ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 806 du code de procédure
civile, le Juge des référés est compétent pour « statuer provisoirement
sur les difficultés relatives à l’exécution d’un titre exécutoire ou d’un
jugement », qu’il est seulement fait défense de préjudicier au principal ;
Attendu qu’en espèce, la Compagnie Beauchemin International en
exécution de l’ordonnance n°310/PTRN du 18/06/2004 a pratiqué des saisies
contre Europress ;
Que cette dernière conteste les saisies en invoquant des nullités
de forme dont l’appréciation par le Juge des référés ne préjudicie en rien le
fond du litige qui est la contrefaçon dont connaît le Juge du fond ;
Attendu en effet qu’il est admis tant en jurisprudence qu’en
doctrine, que le saisi à qui l’ordonnance autorisant la saisie-contrefaçon fait
grief puisse en référer au Juge qui a rendu l’ordonnance pour modifier ou la
rétracter même si le Juge du fond est saisi ;
Qu’il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception
d’incompétence ;
Sur l’exception d’irrecevabilité
Attendu que Europress invoque d’une part l’irrecevabilité de la
Compagnie Beauchemin pour défaut de qualité, et d’autre part une fin de
non-recevoir pour l’intervention volontaire du BNDA ;
* Sur l’irrecevabilité de la Compagnie Beauchemin
Attendu qu’Europress soutient que la Compagnie Beauchemin ne
prouve pas qu’elle est propriétaire exclusif du copyright de la collection
GRIA ;
Mais attendu qu’il résulte des débats et des pièces du dossier les
différents contrats de cession de la collection GRIA, dont un contrat de
cession de la collection GRIA en date du 22/06/93 entre la société Edition
Armand Colin d’une part, et la société d’Edition Internationale B.F.M. Inc.
(« SEI ») et la société Servedit d’autre part ;
Et un contrat de vente et transaction en date du 30 Juin 1997
entre la société d’Edition International BFM Inc. et Servedit S.A ;
Attendu en outre que Europress invoque l’article 48 alinéa 2
annexe III de l’Accord de Bangui ;
Mais attendu que l’Annexe III est relative aux marques de produits
ou de services ;
Alors que la matière dont il s’agit en l’espèce, est régie par
l’Annexe VII de l’Accord de Bangui ;
Qu’en conséquence, l’article 48 alinéa 2 de l’Annexe III ne
s’applique pas en l’espèce, et l’exception tirée de cet article doit être
rejetée ;
Attendu qu’aux termes de l’article 33 de l’Annexe VII de l’Accord
de Bangui, il y a une présomption de titularité dès que le nom de l’auteur
apparait sur l’œuvre de manière visuelle ;
Qu’en l’espèce la Compagnie Beauchemin International soutient
avoir la cession exclusive de la collection GRIA, et que la collection GRIA est
mentionnée de façon visuelle sur les œuvres qualifiées contrefaites ;
Qu’il y a lieu en conséquence de rejeter l’exception
d’irrecevabilité de la Compagnie Beauchemin soulevée par Europress ;
* Sur la fin de non-recevoir du BNDA
Attendu que l’article 5 alinéa 2 de la loi n°95-019 du 8/12/1995
indique que le BNDA « ...administre à titre exclusif sur le territoire de
la République du Niger tous les droits patrimoniaux de ses membres et ceux des
sociétés d’auteurs étrangères », et l’article 60 alinéa 3, Annexe VII de
l’Accord de Bangui précise que « l’organisme national de gestion
collective des droits gère sur le territoire national les intérêts des autres
organismes nationaux et étrangers dans le cadre de conventions ou d’accords
dont il sera appelé à convenir avec eux » ;
Il résulte de la combinaison de ces deux articles que la gestion
des intérêts des autres sociétés nationales et étrangères par l’organisme
national de gestion collective des droits sur son territoire national est
soumise à la signature d’accord entre les deux sociétés ;
Attendu qu’en l’espèce, la Compagnie Beauchemin est une société de
droit québécois ;
Qu’il ne résulte pas de la procédure que le BNDA a convenu d’un
accord bilatéral avec la société québécoise de droit d’auteur ;
Que son intervention volontaire doit être déclaré
irrecevable ;
Sur la nullité des saisies conservatoires
pratiquées
Attendu que Me De Campos, conseil de Europress soutient que
l’ordonnance n°310/PTRN du 18 Juin 2004 autorise une saisie réelle et non une
saisie conservatoire tendant au recouvrement d’une créance et fondée sur
l’article 54 de l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées
de recouvrement et des voies d’exécution ;
Il fait valoir que les procès-verbaux de saisie devaient être
adaptés au mode de saisie autorisée, et que ne l’ayant pas été, ils doivent
être déclarés nuls ;
Attendu que Me Souleymane Yankori, conseil de la Compagnie
Beauchemin International, demande de débouter Europress car il n’y a aucune
violation de la loi ;
Qu’en matière de saisie-contrefaçon, la saisie conservatoire est
bien valable et constitue le moyen pour le saisissant de prouver la
contrefaçon, et enfin que la dénonciation des saisies a été faite dans les
délais ;
Attendu que l’article 63 de l’ordonnance n°93-027 du 30 Août 1993
portant sur le droit d’auteur dispose :
« A la demande d’un auteur, un interprète ou exécutant ou du
BNDA ou de leurs ayants droit, le Tribunal, par ordonnance sur requête, sera
habilité à ordonner :
- la saisie des exemplaires constituant une reproduction illicite
de leurs œuvres ;
- la suspension de toute fabrication en cours tendant à la
production illicite de ces œuvres ;
- la saisie, même en dehors des heures légales, des recettes
provenant de toutes reproductions, représentations ou diffusions illicites de
ces œuvres » ;
Que l’article 62 Annexe VII de l’Accord de Bangui consacré aux
mesures conservatoires a prévu la saisie des exemplaires d’œuvres soupçonnés
d’avoir été contrefaits, ainsi que les comptes se rapportant à ces
exemplaires ;
Attendu qu’il résulte aussi bien du texte national que du texte
régional que le titulaire d’un droit d’auteur peut procéder à la saisie
conservatoire des exemplaires contrefaits ainsi que les recettes (créances)
provenant desdits exemplaires ;
Qu’il y a lieu par conséquent de déclarer légales les saisies des
biens meubles corporels et de créances pratiquées par la Compagnie Beauchemin
International les 23 et 24 Juin 2004 ;
Attendu qu’Europress soutient la nullité des saisies pour n’avoir
pas été adaptées au mode des saisies autorisées ;
Mais attendu que l’alinéa 3 de l’article 63 de l’Annexe VII de
l’Accord de Bangui dispose que « les dispositions des codes nationaux de
procédure civile... qui ont trait à ... la saisie s’appliquent mutatis mutandis
aux atteintes aux droits protégés en vertu de la présente annexe » ;
Qu’en droit Nigérien de procédure civile, les saisies sont régies
par l’Acte Uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution ;
Que c’est donc à bon droit que la Compagnie Beauchemin
International a procédé et dénoncé les saisies dans les formes prescrites par
lesdites dispositions ;
Attendu par ailleurs que les nullités invoquées par Europress ne
sont prévues par aucun texte légal comme sanction des formes des saisies ;
Qu’au surplus, Europress qui invoquait l’article 67 de l’AUPSRVE
est mal fondé à soutenir la nullité des saisies pour avoir été faites dans les
formes prescrites par le même Acte Uniforme ;
Qu’au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter la nullité des
saisies invoquées, et de débouter Europress en sa demande comme mal
fondée ;
Attendu que la partie qui succombe doit être condamnée aux
dépens ;
Par ces motifs :
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de référé et
en premier ressort :
Se déclare compétent ;
Reçoit la requête de Europress en la forme ;
Rejette l’exception d’irrecevabilité de la requête de la Compagnie
Beauchemin International pour défaut de qualité ;
Déclare irrecevable l’intervention volontaire du BNDA ;
Déclare bonnes et valables les saisies pratiquées ;
Déboute Europress en ses demandes de nullité et de
mainlevée ;
Condamne Europress aux dépens.