Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou
Jugement N°139/2005 du 23 mars 2005
LA STE U.NV
c/
T.A
Le Tribunal,
Par acte d'huissier en date du 20 août
2004, la société U. NV donnait assignation à T.A.
pour se voir déclarer recevable en son acte, s'entendre déclarer
la saisie par elle pratiquée le 13 août 2004
valide et en ordonner la destruction, s'entendre interdire
dorénavant la fabrication ou l'importation et la commercialisation de produits
« MIMO » sur le territoire national et voir condamner T.A. à
lui payer la somme de 130.000.000 FCFA à titre de dommages-intérêts et des frais de procédure exposés.
Elle expose à l'appui de ses prétentions qu'elle est propriétaire
de la marque de poudre à laver « OMO » déposée et enregistrée à l’OAPI et
dispose, en vertu de la législation OAPI, d'un droit exclusif d'utiliser la
marque « OMO » et du droit exclusif d'empêcher tous les tiers agissant sans son
consentement de faire usage de signes identiques ou similaires pour des
produits similaires ;
Qu'ayant constaté l'écoulement sur le marché national d'une poudre
à laver «MIMO» présentant des emballages semblables à ceux de la marque «OMO»,
elle a entrepris d'obtenir la cessation de l'atteinte à son droit de propriété
; qu’elle a, en vertu de l'article 48 de l'Annexe III de l'accord OAPI,
pratiqué la saisie de 2616 cartons de poudre à laver «MIMO» appartenant à T.A.,
laquelle saisie lui a été dénoncée ; qu'elle a, en outre, en vertu des articles
47 et 49 de l'Annexe III de l'Accord OAPI, introduit la présente procédure pour
faits de contrefaçon et concurrence déloyale ;
Que sa demande est recevable en vertu de l'article 46 de l'Annexe
III de l'Accord OAPI ;
Que la contrefaçon telle que définie par l'article 37 de l’Annexe
III de l’Accord OAPI, est en l'espèce établie, au regard de la similitude des
inscriptions et couleurs de l'emballage « MIMO » avec celui d'« OMO » ;
Que l'imitation de la présentation de l'emballage d'« OMO » par
les distributeurs «MIMO» a créé une confusion chez les consommateurs et est
constitutive de concurrence déloyale au sens des articles 2, 3 et 4 de l'Annexe
VIII de l'Accord OAPI ;
Que l’écoulement par T.A. sur le marché national de produits
ressemblant fortement aux produits de marque « OMO » lui a occasionné des
méventes, qu'elle a aussi engagé des frais de procédure par sa faute, ce
pourquoi elle demande qu'il soit condamné à la dédommager ;
La société U. Côte d’Ivoire, intervenant
volontaire à l'instance aux côtés de la société U. NV, conclut
à la recevabilité de son action et à la condamnation de T.A. à lui verser la
somme de 70.000.000 FCFA à titre de dommages intérêts et celle de 30.000.000
FCFA au titre des frais de poursuites exposés, et demande que la destruction
des produits saisis et l'interdiction de la fabrication et/ou la
commercialisation de ces produits soient ordonnées.
Elle expose à cet effet que la société U. NV qui
est dépositaire de la marque «OMO» a concédé le droit exclusif d'usage de cette
marque à la société U. PLC qui lui a, à son tour, concédé une licence lui
permettant de commercialiser la poudre à laver de marque «OMO» en vertu dudit
contrat de licence ; qu'ayant constaté la vente au Burkina Faso de la poudre à
laver «MIMO» présentant des signes ressemblant fortement aux signes de la
marque «OMO», elle a informé le titulaire de la marque qui a engagé une action
en contrefaçon et en concurrence déloyale ; qu'elle a aussi subi des
préjudices, ce pourquoi elle intervient dans la présente procédure en vertu de
l'article 46-2 de l'Annexe III de l'Accord OAPI ; qu'il y a eu concurrence
déloyale lui ayant occasionné des préjudices, ce pourquoi elle demande
réparation ;
T. A. en réponse, conclut à l'irrecevabilité de l'action d'U. NV
et partant, de celle de U. Côte d'ivoire, et
au débouté des demandeurs de leurs prétentions comme étant mal fondées,
Il expose à cet effet que la preuve de la non radiation et de la
non déchéance de la marque n'a pas été faite comme l'impose l'article 48-2 de
l'Annexe III de l'Accord OAPI ; que le juge n'ayant procédé à aucune
vérification avant de signer l'ordonnance, celle-ci serait nulle ; que la
caution n'a pas été versée, le demandeur ayant seulement consigné un chèque et
non une somme d'argent ; que le juge qui a rendu l'ordonnance n'a pas qualité,
cette qualité étant seulement dévolue au Président du Tribunal ;
Il fait valoir en outre que la poudre « MIMO » avait été commandée
par les établissements Z. I. ; que des difficultés
financières ont emmené ce dernier à lui revendre cette marchandise contenue
dans des cartons au port de Tema au Ghana ; que c'est arrivé à Ouagadougou
qu'il s'est rendu compte de la ressemblance de ce produit avec « OMO » ;
Qu'il lui était difficile de refuser de revendre cette marchandise
compte tenu de ses difficultés financières ; qu'il n'a d'ailleurs pu écouler
qu’une petite quantité de la marchandise qui s'est fortement détériorée, plus
de la moitié ayant été saisie par le demandeur ; qu'il a ainsi subi des pertes
et ne peut être condamné à payer des dommages et intérêts ; que les demandeurs
n'ont pas prouvé leurs préjudices et qu'ils doivent en être déboutés ;
EN LA FORME
Sur la recevabilité de l'action d'U. N.V
Attendu que T.A. en défense, conclut à l'irrecevabilité de l'action
d'U. NV en soulevant trois exceptions : le défaut de production de la preuve de
la non radiation et de la non déchéance de la marque, le non-paiement de la
caution et le défaut de qualité du juge qui a rendu l'ordonnance ;
Mais attendu que sur la 1ère exception, contrairement à
ce que soutient T.A., l'article 48-2 de l'Annexe III de l'Accord OAPI n'impose,
ni ne prescrit à peine de nullité la production de la preuve de la non
radiation et de la non déchéance de la marque ; qu'en l'espèce, le requérant produit
la preuve de l’enregistrement de la marque ;
Que la radiation de cet enregistrement ne pouvait intervenir, aux
termes de l'article 23 de l'Annexe III précité, que si la marque « OMO »
n'était pas utilisée de façon continue pendant 5 ans ;
Que dans le cas présent, l'enregistrement non seulement date de
moins de 5 ans, mais aussi que la marque « OMO » est utilisée et
commercialisée, d'où elle ne pouvait souffrir de radiation ; qu'ainsi la preuve
factuelle de la non-radiation est établie, d'où l'exception tirée du défaut de
production de la preuve de la non radiation et de la non déchéance doit être
rejetée ;
Attendu que la 2ème exception tirée du non-paiement de
la caution ne peut elle aussi prospérer car l'article 48-3 de l'Annexe III de
l'Accord OAPI visé par le défendeur n'impose que la consignation d'une caution sans
préciser en quelle forme monétaire celle-ci doit l'être ;
Que le requérant, en faisant consigner un chèque de la valeur du
montant à déposer, et ayant reçu quittance du paiement de ladite caution, a
satisfait à cette obligation ;
Attendu enfin que la 3ème exception doit aussi être
rejetée comme étant mal fondée car le juge qui a rendu l'ordonnance l'a fait
sur délégation du Président du Tribunal ;
Que la délégation de compétence étant admise en la matière, le
juge délégué a ainsi exercé légalement les compétences revenant au Président du
Tribunal ;
Attendu que l'article 46 de l'Annexe III de l'Accord OAPI accorde
au titulaire d'une marque l'action civile en contrefaçon ;
Que l'article 49 du même texte prévoit qu'en cas de saisie,
l'action civile ou pénale doit être introduite dans le délai de 10 jours
ouvrables à compter de cette saisie ;
Attendu en l'espace que la société U. NV est
titulaire de la marque « OMO » ; qu'elle a fait pratiquer une saisie sur les
marchandises de T.A. le 13 août 2004 ; qu'à la date du 20 août 2004,
elle était toujours dans les délais de l'article 49 suscité ;
Qu'elle a qualité et intérêt pour agir ; que sa demande est donc
recevable ;
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la société U.
Côte d'ivoire
Attendu que la société U. Côte d'ivoire intervient
volontairement à la présente procédure pour demander des dommages et intérêts
sur la base de l'article 46-2 de l'Annexe III de l'Accord OAPI ;
Mais attendu que l'article 46-1 du texte précité dispose que c'est
suite à l'inaction du titulaire de la marque et après mise en demeure que le
titulaire d'un droit exclusif peut exercer l'action civile en contrefaçon ;
Que le titulaire même de la marque ayant agi pour la défense des
mêmes intérêts que ceux intéressant U. Côte d'ivoire, il
suit que U. Côte d'ivoire n'a plus qualité pour agir, d'où
elle doit être déclarée irrecevable en son action ;
AU FOND
Sur la responsabilité civile pour fait de contrefaçon et
concurrence déloyale
Attendu que la société U. NV soutient
que sa marque « OMO » a été contrefaite par T.A. et
que cela constitue par là même une concurrence déloyale ;
Attendu qu'en défense T.A. soutient
qu'il a acheté la marchandise avec une tierce personne et que c'est arrivé à
Ouagadougou qu'il s'est rendu compte de la ressemblance avec les produits de la
marque « OMO » ;
Mais attendu qu'un tel argumentaire ne saurait prospérer, car il
est illogique et inconcevable qu'un commerçant puisse acquérir de la
marchandise d'une telle quantité sans savoir de quoi il s'agit, ni sans l'avoir
vu ;
Attendu que des dispositions de l'article 37 de l'Annexe III de
l'Accord OAPI, il ressort que sont coupables des faits de contrefaçon ceux qui imitent
frauduleusement une marque, de nature à tromper l'acheteur, ou font l'usage
d'une marque frauduleusement imitée, ou ceux qui sciemment vendent ou mettent
en vente des produits revêtus d'une marque frauduleusement imitée ;
Que les articles 2 et 4 de l'Annexe VIII de l'Accord OAPI
incriminent comme actes de concurrence déloyale les actes tendant à la
confusion avec l'entreprise d'autrui ou avec ses activités, ou ceux tendant à
tromper le public au sujet d'une entreprise ou de ses activités ;
Attendu en l'espèce que des pièces versées au dossier, les
produits de la marque « MIMO » présentent des similitudes autant sur les
inscriptions que sur les couleurs des emballages avec ceux de la marque « OMO »
;
Que la marque « OMO » étant une marque légalement enregistrée et
protégée, alors que la marque « MIMO » ne l'est pas, ces actes d'imitation
constituent une contrefaçon, et par la confusion et la tromperie que les
produits de la marque « MIMO » pouvaient occasionner au sein du public, ces
actes constituent même des actes de concurrence déloyale ; que la
société U.NV est ainsi fondée en sa demande, d'où qu'il convient d'y faire
droit ;
Sur la demande de dommages et intérêts et frais exposés
Attendu que la société U. NV soutient
que les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale orchestrés par T.A.
lui ont occasionné des préjudices, lesquels l'ont amené à exposer
des frais de procédure pour faire valoir ses droits ; qu'elle demande ainsi à
être dédommagée ;
Attendu que T.A. soutient en
défense que cette demande est injustifiée et doit être rejetée ;
Attendu que la société U. NV, pour
fonder sa demande, soutient qu'elle a connu des méventes à cause de la
contrefaçon, lui ayant occasionné un manque à gagner de plus de 250.000.000
FCFA ;
Mais attendu qu'elle n'apporte aucune preuve pouvant justifier ce
manque à gagner ; que la demande de paiement de frais exposés pour la
procédure est également sans justification ; Qu'ainsi ces deux demandes doivent
être rejetées comme étant injustifiées ;
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, contradictoirement, en matière
commerciale et en premier ressort ;
En la forme : déclare l'action introduite par U.
NV recevable ; déclare l'intervention volontaire de U.
Côte d'ivoire irrecevable pour défaut de qualité ;
Au fond : déclare l'action de U. NV fondée
; En conséquence, ordonne la destruction des 2616 cartons de poudre à laver «
MIMO » saisis le 13/08/2004 ;
Ordonne l'interdiction de la production et de la commercialisation
des produits « MIMO » sur le territoire national ;
Rejette la demande de dommages et intérêts de même que celle
relative aux frais divers de poursuite comme étant non justifiées ;
Condamne T. A. aux dépens.