2ième espèce
Tribunal de Commerce d’Abidjan
Jugement du 7 novembre 2013, N°1561/2013
SOCIETE DE GALVANISATION DE TOLES EN COTE-D’IVOIRE SA (Tôles Ivoire)
c/
SOCIETE FOCUS BUILDING & CONSULTING SARL
Le
Tribunal,
Par exploit d’huissier en
date du 01 octobre 2013, la société de Galvanisation de Tôles en Côte d’Ivoire
dite Tôles Ivoire a assigné la société Focus Building & Consulting à
comparaître le 24 octobre 2013 devant le Tribunal de Commerce de ce siège à
l’effet d’entendre :
- condamner la société Focus
Building & Consulting à lui restituer les documents ainsi que le code
d’accès à son site internet mise en place par ladite société sous astreinte
comminatoire de cinq millions (5.000.000) de francs CFA par jour de retard à
compter du prononcé de la décision à intervenir sur minute et avant
enregistrement ;
- condamner la défenderesse
aux dépens.
A l’appui de son action, la
société Tôles Ivoire expose que selon une lettre de mission en date du 1er
juin 2012, elle a confié diverses missions portant sur le programme stratégique
dénommé "Renaissance" à la société Focus Building & Consulting ;
Que l’exécution de la
phase II couvrant la période d’avril à mai 2013 portait sur les missions
suivantes ;
- coordination et cadrage
mission, revue thématique et DG ;
- plan BFR ;
- procédures générales RH et
QSE/RSE ;
- marketing et communication
;
- création graphique,
exception, infographie ;
Que par courrier du 08
juillet 2013, elle a informé la défenderesse de sa décision de mettre un terme
aux relations existant entre les parties dans la mesure où le budget validé
pour l’année 2013 avait été entièrement consommé par son cocontractant ;
Que dans le même courrier,
elle a sollicité de la société Focus Building & Consulting une rencontre
afin de régler les aspects pratiques de cette rupture des relations
contractuelles notamment la restitution des documents originaux au terme de la
mission de la défenderesse ainsi que le code d’accès au site internet ;
Que pour toute réponse, la
société Focus Building & Consulting l’a invitée, par lettre en date du 15
juillet 2013, à lui régler sa facture d’un montant de trente trois millions
trois cent soixante mille (33.360.000) francs CFA ;
Qu’elle a alors adressé un
autre courrier à la défenderesse pour réitérer sa demande en restitution des
documents et du code d’accès au site internet et s’est heurtée encore une fois
au refus de celle-ci qui l’a plutôt fait condamner au paiement de sa facture
sus indiquée suivant ordonnance d’injonction de payer n°002290/2013 du 13 août
2013 ;
Qu’à la fin du contrat
synallagmatique liant les parties, la société Focus Building & Consulting
se devait de démontrer qu’elle a exécuté sa mission en lui restituant les
documents relatifs à cette mission et les codes d’accès du site web ;
Qu’elle s’est engagée par
ses courriers en date des 08 et 19 juillet 2013 à régler la facture de la
défenderesse après que celle-ci lui ait restitué les documents et les codes
susvisés ;
Que le refus de la société
Focus Building & Consulting de lui remettre ces documents et pièces ne lui
permet pas de s’assurer si celle-ci a effectivement exécuté sa mission ;
Elle rappelle par ailleurs
que l’enveloppe budgétaire totale qu’elle a confiée à la société Focus Building
& Consulting s’élevait à un montant de trois cent vingt-sept millions
(327.000.000) de francs CFA sur lequel elle a déjà versé à celle-ci la somme de
deux cent cinquante-deux millions cinquante-cinq mille cent (252.055.100) francs
CFA à la date de la rupture de leurs relations contractuelles ;
Que le montant
reliquataire de la prestation de la défenderesse s’élève à la somme de
trente-trois millions trois cent soixante mille (33.360.000) francs CFA dont
cette dernière poursuit le recouvrement par l’ordonnance d’injonction de payer
n°002290/2013 du 13 août 2013 ;
Que la société Focus
Building & Consulting ne peut donc lui reprocher de ne pas respecter son
obligation de paiement de ses prestations ;
Que c’est plutôt la
défenderesse qui est à ce jour, incapable de faire la preuve de l’exécution de
sa mission ;
Que contrairement à ce que
la défenderesse prétend, celle-ci n’a pas un droit de propriété sur le site
internet ;
Qu’en effet, la création
du site internet en cause faisait partie de la mission qu’elle a confiée à la
société Focus Building & Consulting et pour laquelle la rémunération
de celle-ci a été prévue
dans l’enveloppe budgétaire de trois cent vingt-sept millions (327.000.000) de
francs CFA ;
Qu’il va sans dire que dès
lors qu’elle a payé la société Focus Building & Consulting pour cette
prestation relative à la création d’un site internet, ce site internet demeure
sa propriété et non celle de la défenderesse ;
Qu’en l’espèce la question
se rapporte à une prestation de service et non à une œuvre de l’esprit, de
sorte que le moyen de la société Focus Building & Consulting fondé sur
l’application des dispositions de la loi n°96-564 du 25 juillet 1996 relative à
la protection des œuvres de l’esprit et aux droits des auteurs, des
artistes-interprètes et des producteurs phonogrammes et de vidéogrammes est
inopérant ;
Que la résistance dont
fait montre la société Focus Building & Consulting ne se justifiant pas au
regard de tout ce qui précède, elle demande que cette dernière soit contrainte
à lui restituer les documents de fin de mission ainsi que le code d’accès au
site internet et ce, sous astreinte comminatoire de cinq millions (5.000.000)
de francs CFA par jour de retard à compter du prononcé de la décision ;
En réplique, la société
Focus Building & Consulting indique qu’elle a conclu avec la demanderesse,
une convention de prestation de services courant mars 2012 pour une durée de
cinq ans ;
Que dans le cadre de
l’exécution de la phase 2 de ladite convention, elle a exécuté des opérations
pour lesquelles elle a établi sa facture reçue le 19 juin 2013 par la société
Tôles Ivoire ;
Que suite à la réception
de ladite facture, la demanderesse l’a informé par courrier en date du 08
juillet 2013, de sa décision de mettre fin à leur collaboration avant terme
tout en la rassurant sur son intention de procéder au règlement de sa facture,
sans condition aucune ;
Que la société Tôle
Ivoires n’ayant pas exécuté son obligation de paiement, elle est fondée à exercer
son droit de rétention sur les documents de fin de mission jusqu’au règlement
intégral de sa facture d’un montant de trente-trois millions trois cent
soixante mille (33.360.000) francs CFA conformément aux dispositions de
l’article 67 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des sûretés ;
Que s’agissant de la
demande des codes d’accès du site internet, elle est, en sa qualité d’auteur
dudit site, le seul propriétaire du droit d’auteur y afférent, ce qui
l’autorise à déterminer souverainement les conditions de sa divulgation et,
notamment, de la communication ou non de ses codes d’accès ;
Que le client qui « achète
» son site web à un prestataire n’acquiert en réalité qu’un droit d’utilisation
du site, en l’absence d’une clause de cession des droits de propriété
intellectuelle pour le site et ses composantes juridiquement valables ;
Qu’à défaut d’une telle
clause prévoyant la cession des droits d’auteur au profit de
l’entreprise-cliente, le prestataire conserve les droits de propriété
intellectuelle relatifs au site web ;
Qu’en l’espèce, elle n’a
cédé à la société Tôles Ivoire qu’un droit d’utilisation et reste titulaire du
droit d’auteur attaché au site internet qui protège notamment :
- la conception du site web
;
- le contenu créatif du site
(textes, photographies, éléments graphiques, musiques et vidéos) ;
- les bases de données ;
- les composants cachés du
site web (tels les codes d’accès, des éléments graphiques confidentiels, le
code source, le code objet, des algorithmes, des programmes ou d’autres
descriptions techniques, des diagrammes de flux de données, des diagrammes logiques,
des manuels d’utilisateur, des structures de données et le contenu de bases de
données) ;
Que c’est la raison pour
laquelle elle est fondée à détenir les codes d’accès et le code source du site
en cause en sa qualité de titulaire exclusif du droit d’auteur de cette œuvre
de l’esprit ;
Que la société Tôle Ivoire
qui n’est pas propriétaire du droit d’auteur afférent audit site dont celle-ci
veut se voir communiquer les codes d’accès, est mal fondée ;
AU FOND
Sur la restitution des
documents
La société Focus Building
& Consulting s’oppose à la demande de restitution des documents formulée
par la société Tôles Ivoire au motif qu’elle exerce un droit de rétention sur
lesdits documents dans la mesure où celle-ci lui reste devoir la somme de trente-trois
millions trois cent soixante mille (33.360.000) francs CFA au titre des
prestations fournies.
Aux termes de l’article 67
de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des sûretés, le créancier qui
détient légitimement un bien mobilier de son débiteur peut le retenir jusqu'au
complet paiement de ce qui lui est dû, indépendamment de toute autre sûreté,
sous réserve de l'application de l'article 107 alinéa 2, dudit Acte uniforme.
L’article 68 suivant fixe
les conditions du droit de rétention reconnu au créancier en disposant : «
Le droit de rétention ne peut s'exercer que :
- si la
créance du rétenteur est certaine, liquide et exigible ;
- s'il
existe un lien de connexité entre la naissance de la créance et la détention de
la chose retenue ;
- et si le
bien n'a pas été saisi avant d'être détenu par le rétenteur ».
En l’espèce, il est constant
que la société Focus Building & Consulting a fait condamner la société
Tôles Ivoire à lui payer la somme de trente-trois millions trois cent soixante
mille (33.360.000) francs CFA au titre de sa créance suivant ordonnance
d’injonction de payer n°002290 en date du 13 août 2013.
L’obtention de ladite
ordonnance d’injonction de payer atteste, conformément aux dispositions de
l’article 1er de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des
procédures de recouvrement simplifiées et des voies d’exécution, que la créance
de la société Focus Building & Consulting a été reconnue, liquide et
exigible.
Au demeurant, la société
Tôles Ivoire reconnaît elle-même dans ses conclusions en date du 29 octobre
2013 que le montant reliquataire de la prestation de la société Focus Building
& Consulting s’élève à la somme de trente-trois millions trois cent
soixante mille (33.360.000) francs CFA confirmant ainsi l’existence de la créance
de celle-ci.
La créance de la société
Focus Building & Consulting étant née à l’occasion de l’exécution de la
mission à elle confiée par la société Tôles Ivoire, le lien de connexité entre
ladite créance et la détention des documents de fin de mission retenus par la
défenderesse est clairement établi. De plus, il ne ressort pas du dossier que
lesdits documents aient été saisis avant d’être retenus par la défenderesse.
De tout ce qui précède, il
suit que les conditions d’exercice du droit de rétention prescrites par
l’article 68 de l’Acte Uniforme OHADA portant organisation des sûretés susvisé
sont réunies.
La société Focus Building
& Consulting étant fondée à retenir les documents de fin de mission
jusqu'au complet paiement de sa créance d’un montant de trente-trois millions
trois cent soixante mille (33.360.000) francs CFA, c’est donc à tort que la
société Tôles Ivoire sollicite la condamnation de celle-ci à la restitution
desdits documents.
Il y a lieu,
dès lors, de déclarer la demande de la société Tôles Ivoire mal fondée et de la
rejeter.
Sur la restitution des codes
d’accès au site internet
Il est de principe que
lorsqu’une société confie à un prestataire extérieur la conception de son site
internet ou la création de son contenu, ce prestataire est titulaire des droits
de propriété intellectuelle attachée à l’œuvre à moins qu’il en soit convenu
autrement dans un contrat écrit. Ainsi, ledit prestataire détient des droits
d’auteur sur les composantes cachées du site internet notamment le code source,
le code objet, les algorithmes, les programmes ou autres descriptions
techniques, les structures de données et le contenu de base de données.
Le code d’accès, défini
comme un mot de passe, ne fait pas partie des éléments du site sur lesquels
portent les droits de propriété intellectuelle du concepteur du site internet.
Il en résulte qu’à la fin de
sa mission, le prestataire qui a conçu ledit site doit communiquer le code
d’accès à celui qui lui a confié la mission si ses services ont été rémunérés.
En l’espèce, la société
Focus Building & Consulting, prestataire extérieur, dont la société Tôles
Ivoire s’est attachée les services pour la création de son site internet doit
en principe restituer à celle-ci le code d’accès à ce site à la fin de sa mission.
Il est toutefois constant que la société Focus Building & Consulting n’a
pas été totalement payée au titre de ses prestations ; la demanderesse lui
restant devoir la somme de trente-trois millions trois cent soixante mille
(33.360.000) francs CFA. Il s’ensuit, comme sus jugé, que la société Focus
Building & Consulting est fondée à exercer un droit de rétention sur les
biens mobiliers de sa débitrice en sa possession et à l’origine de la créance
jusqu'au paiement intégral de celle-ci.
Ainsi, le refus qu’elle
oppose à la restitution du code d’accès au site internet, bien mobilier
incorporel, sollicité par la société Tôles Ivoire est parfaitement justifié.
Il convient, dans ces
conditions, de débouter la société Tôles Ivoire de sa demande.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement,
contradictoirement et en premier ressort,
Reçoit la société de
Galvanisation de Tôles en Côte d’Ivoire dite Tôles Ivoire en son action ;
Constate la non conciliation
des parties ;
Dit que la société de
Galvanisation de Tôles en Côte d’Ivoire dite Tôles Ivoire est mal fondée en son
action ;
L’en déboute.