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Tribunal de commerce de Cotonou, Jugement du 3 mai 2018, N°017/18/CJ/SII/TCC

Tribunal de commerce de Cotonou

Jugement du 3 mai 2018, N°017/18/CJ/SII/TCC

ISAAC TOHODE

c/

PHIBAUT AMOUZOUN

Le Tribunal,

Par acte du 05 janvier 2018, Isaac TOHODE a attrait devant le tribunal de commerce de Cotonou, Phibaut AMOUZOUN pour la condamnation de celui–ci au paiement de la somme de soixante-quinze millions (75.000.000) de francs CFA à titre de dommages–intérêts ;

Au soutien de son action, Isaac TOHODE expose qu’il est artiste compositeur, chanteur et arrangeur et a réalisé en cette qualité, courant décembre 2016, un album de musique traditionnelle intitulée « DECOLLAGE » et composé de dix (10) titres ;

Qu’aux termes des articles 4 et 5 point III de l’Annexe VII de l’accord portant révision de l’Accord de BANGUI du 02 mars 1977 instituant la Propriété Intellectuelle signé à Bangui le 24 février 1999, les œuvres musicales, qu’elles comprennent ou non des textes d’accompagnement, bénéficient d’une protection qui confère à leurs auteurs, du seul fait de leur création, un droit de propriété incorporelle, exclusif et opposable à tous ;

Qu’après le lancement de l’album, il lui a été donné de constater courant janvier 2017 que l’un des titres de cet album, le morceau intitulé « Evolution », a été piraté et enregistré à des fins commerciales, notamment pour servir de support de publicité aux feuilles de tôles de la marque « KGC » commercialisées par Phibaut AMOUZOUN ;

Que de janvier 2017 à août 2017, ce titre a été constamment utilisé pour faire la promotion des feuilles de tôle de marque « KGC » sur diverses chaînes de radio à savoir : Radio – Tokpa, CAPP FM, COUFFO FM pour ne citer que celles-là, sans que son consentement n’ait été requis ;

Qu’il lui est revenu que c’est Phibaut AMOUZOUN qui est à l’origine de cette situation ;

Que le BUBEDRA qui n’est pas une juridiction ne peut rendre aucun acte de juridiction ;

Que sa saisine d’un contentieux relatif à la paternité du morceau « EVOLUTION » ne constitue point une question préjudicielle ;

Que son action est recevable en ce qu’il agit dans son propre intérêt et les prétentions qu’il émet visent à lui procurer un avantage personnel et direct ;

Qu’étant auteur du morceau « EVOLUTION », il a qualité et intérêt à revendiquer en justice, la propriété attachée à son œuvre ;

Que les différends à soumettre à la tentative de conciliation de l’organisme de gestion collective sont ceux d’origine contractuelle ;

Que le moyen d’irrecevabilité proposé est inopérant en ce qu’il n’existe aucun contrat entre lui et Phibaut AMOUZOUN ;

Que les attributions conférées à la structure chargée de la gestion collective et de la défense des droits des titulaires des droits d’auteur, laissent intacte, aux titulaires desdits droits, la faculté d’exercer par eux–mêmes leurs droits ;

Qu’il est avéré que la conception du spot publicitaire n’est pas l’œuvre des chaînes radio qui l’ont diffusé ;

Que c’est Phibaut AMOUZOUN qui a déterminé les éléments de la publicité de ses produits et a confié la diffusion aux chaînes de radio ;

Que le "single" que constitue le morceau « EVOLUTION » était déjà exécuté en public et à différentes manifestations et est connu de l’opinion comme étant l’œuvre de Isaac LOBO avant la sortie de son album, comme cela est d’usage dans le domaine musical ;

Que c’est conscient de cette paternité que Phibaut AMOUZOUN, lors du lancement de sa tombola, le 12 mars 2016, a sollicité sa prestation pour exécuter le morceau « EVOLUTION » ;

Que Yves AKOUEGNONHOU a sollicité sa permission en mai 2015 pour insérer le morceau « Evolution » sur son album ;

Que le fait pour Yves AKOUEGNONHOU de poser sa voix sur le premier couplet de la chanson ne porte nullement atteinte à son droit de propriété exclusif ;

Que sa demande de dommages–intérêts est fondée non pas sur le droit commun de la responsabilité délictuelle mais sur l’article 63 de l’Annexe VII de l’Accord de Bangui du 02 mars 1977 instituant une Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle signé à Bangui le 24 février 1999 ;

Que son action ne recèle aucune intention malveillante et ne peut donner lieu à sa condamnation à des dommages–intérêts ;

Phibaut AMOUZOUN résiste à ces prétentions et fait valoir que dans le but de promouvoir ses tôles et pour leur commercialisation, il s’est rapproché des professionnels de la publicité ;

Que ces publicitaires ont choisi pour accompagner ladite publicité, le morceau « Evolution » de Yves AKOUEGNONHOU alias « Somo crew DJOGBE » sorti le 1er mai 2015 en collaboration avec Isaac TOHODE ;

Que la campagne publicitaire a duré jusqu’à fin janvier 2016 au vu et au su de Isaac TOHODE avec à certains moments sa participation personnelle rémunérée par des cachets ;

Que ce dernier a inséré le morceau « Evolution » dans son album intitulé « Décollage » sorti courant décembre 2016 et en fit un dépôt au BUBEDRA le 25 août 2017 ;

Que Yves AKOUEGNONHOU a fait une opposition au dépôt dudit morceau au service du BUBEDRA élevant ainsi un contentieux devant cette institution qui devra se prononcer sur l’acceptation ou non du dépôt du morceau pour enregistrement par Isaac TOHODE ;

Que l’action de Isaac est irrecevable en ce :

- qu’il ne justifie pas de sa paternité exclusive du morceau « Evolution » ;

- qu’il l’a assigné sans la conciliation préalable obligatoire de l’organisme de gestion collective ;

Que la somme à percevoir éventuellement par l’auteur d’une œuvre ayant servi de support de publicité à des fins commerciales est perçue auprès de la commission chargée de la gestion collective, à laquelle est versée une rémunération équitable et unique par l’utilisateur du phonogramme ;

Qu’il sollicite sa mise hors de cause en ce que la commission de gestion collective du Bureau Béninois des Droits d’Auteur (BUBEDRA) pourrait être destinataire desdites réclamations ou à tout le moins les chaines de radio ayant fait passer lesdites publicités ;

Que la demande de dommages formulée par Isaac TOHODE ne se justifie ni en son principe ni en son quantum ;

Que l’action de celui–ci est constitutive d’abus de droit à l’action ;

Qu’il sollicite la condamnation de celui–ci à la somme de trente millions (30.000.000) de francs ;

SUR LA RECEVABILITE DE L’ACTION

Attendu que si l’Annexe VII de l’Accord portant révision de l’Accord de Bangui du 02 mars 1997 instituant une Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle signé à Bangui le 24 février 1999 confère aux auteurs des œuvres musicales une protection, les modalités d’exercice de ce droit sont organisées par la loi nationale ;

Attendu que selon l’article 204 du code de procédure civile, commerciale, administrative, sociale et des comptes, le défaut de qualité est une fin de non-recevoir sanctionnée par l’irrecevabilité ;

Attendu qu’en l’espèce, l’article 68 de la loi n°2005-30 du 10 avril 2006 relative à la protection du droit d’auteur et des droits voisins en République du Bénin dispose : « Lorsqu’un phonogramme publié à des fins de commerce, ou une reproduction de ce phonogramme sont utilisés directement pour la radiodiffusion ou la communication au public, une rémunération équitable et unique, destinée à la fois aux artistes interprètes ou exécutants et au producteur du phonogramme, sera versée par l’utilisateur à l’organisme chargé de la gestion collective prévu à l’article 12 de la présente loi.

La somme perçue de l’utilisateur d’un phonogramme sera partagée à raison de 50% au producteur et 50% aux artistes interprètes ou exécutants.

Ces derniers se partageront la somme reçue du producteur ou l’utiliseront conformément aux accords existants entre eux » ;

Que l’article 12 de la même loi précise : « Il est créé un établissement public à caractère culturel doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière.

Cet établissement est chargé de la gestion collective et de la défense des droits tels qu’ils sont définis dans la présente loi.

Il a qualité pour gérer sur le territoire de la République du Bénin, les droits patrimoniaux des auteurs et des titulaires de droits voisins tels qu’ils sont définis par la présente loi, pour la délivrance des autorisations d’exploitation et pour la perception des redevances y afférentes.

Les dispositions de l’alinéa précédent ne portent en aucun cas préjudice à la faculté appartenant aux auteurs d’œuvres et à leurs successeurs, et aux titulaires des droits voisins, d’exercer les droits qui leurs sont reconnus par la présente loi.

Les statuts de cet établissement ainsi que les modalités de perception et de répartition des redevances sont approuvés par décret pris en conseil des ministres sur proposition du ministre chargé de la culture » ;

Attendu qu’il résulte de la lecture combinée des dispositions ci–dessus que lorsqu’un phonogramme est publié à des fins de commerce, une rémunération est versée à l’établissement public chargé de la gestion collective et de la défense des droits patrimoniaux des auteurs et des titulaires des droits voisins par l’utilisateur ;

Que c’est cet établissement en l’occurrence, le Bureau Béninois du Droit d’Auteur (BUBEDRA) qui a qualité pour poursuivre le recouvrement des redevances liées aux droits patrimoniaux des auteurs et titulaires des droits voisins ;

Qu’un artiste musicien n’a pas qualité pour recouvrer directement une telle rémunération auprès de l’utilisateur ;

Attendu qu’en l’espèce, Isaac TOHODE sollicite la condamnation de Phibaut AMOUZOUN à des dommages–intérêts du fait de la publication du morceau « EVOLUTION » dans le cadre de la promotion des feuilles de tôle KGC sur diverses chaînes de radio ;

Que le recouvrement d’une telle rémunération relève du BUBEDRA ;

Qu’il y a lieu de déclarer irrecevable l’action de Isaac TOHODE ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale, en premier ressort ;

Constate que le Bureau Béninois du Droit d’Auteur (BUBEDRA) est l’organisme habilité par la loi pour recouvrer les rémunérations au titre de la publication des phonogrammes à titre de commerce ;

Déclare Isaac TOHODE irrecevable en son action ;

Le condamne aux dépens.