Tribunal de commerce d’Abidjan
Jugement du 4 mars 2014, RG N°1915/2013
SIEUR ALI MROUE
c/
SOCIETE NESTLE COTE D'IVOIRE ; STE ;
CDCI ; STE SOCOPRIX ; STE TOP BUDGET ; STE
SOCOCE ; STE PROSUMA ; COMPTOIR GANAMET ET FILS ; FOIRE DE
CHINE ; STE MONDIAL MENAGE
Le Tribunal,
Suivant exploit daté du 19 novembre 2013, de Maître BESSE
Schadrack, Huissier de justice à Abidjan, Monsieur Ali MROUE a assigné les
sociétés NESTLE CÔTE D'IVOIRE, FOIRE DE CHINE, MONDIAL MÉNAGE, SATOCI,
SOCOPRIX, la Société Commerciale du Centre Ouest dite SOCOCE, la Société
Ivoirienne de Promotion de Supermarché dite PROSUMA, la Compagnie de
Distribution CDCI, TOP BUDGET et le Comptoir d'Alimentation GANAMET et FILS à
comparaître devant le Tribunal de commerce d'Abidjan pour s'entendre ordonner :
l'interdiction formelle de l'exploitation, sous toutes ses formes, du dessin et
modèle n°03191 dont il détient la propriété exclusive ; l'exécution provisoire
de la décision à intervenir ;
Pour soutenir sa demande, Monsieur Ali MROUE expose que,
conformément à la législation en vigueur et suivant procès-verbal de dépôt
n°4201000122 du 4 juin 2010, il a déposé à l'Organisation Africaine de la
Propriété Intellectuelle dite OAPI, les dessins et modèles industriels des
articles qu'il confectionne ; Que ses dessins et modèles ont été enregistrés
par l'OAPI sous le n°03191 et il lui a été délivré le 29 octobre 2010, à
Yaoundé, un arrêté n°10/0193/0API/DP/DGA/DPI/SSD ; Qu'ainsi, depuis cette date,
il a le droit exclusif de fabriquer et de commercialiser ces produits sous les
formes et couleurs déposées ; Poursuivant, il explique qu'alors qu'il ne les a
pas encore exploités, il a constaté que lesdits dessins et modèles industriels font
l'objet d'une exploitation par plusieurs entreprises de la place ; Que pour se
rassurer sur l'exclusivité qu'il détient sur ses dessins et modèles, il a
sollicité et obtenu de l'OAPI, la délivrance d'un certificat de non radiation
daté du 4 février 2013, d'une attestation de non déchéance datée du 5 février
2013 et d'un courrier réponse relatif à la recherche d'antériorité d'un dessin
et modèle ; Qu'il a, par ailleurs requis un huissier de justice qui s'est rendu
sur les lieux où sont fabriqués et vendus les articles de ménage incriminés
pour constater l'exploitation de ses dessins et modèles et servir sommation aux
personnes présentes d'avoir à donner les justificatifs du droit qu'elles
auraient sur les dessins et modèles exploités ;
Qu'il ressort des diligences de l'huissier de justice que les
articles de ménages incriminés sont importés de pays étrangers dont la Chine et
la Turquie et aucune des sociétés présentement assignées n'a pu justifier d'un
droit de propriété sur lesdits articles ;
Monsieur Ali MROUE fait valoir enfin que l'exploitation par
lesdites sociétés et plusieurs autres commerçants de son dessin et modèle lui
cause un préjudice énorme dans la mesure où il ne peut pas, dans ces
conditions, installer son usine au risque de subir une concurrence déloyale ;
Que pour la sauvegarde de ses intérêts et pour mettre un terme à son préjudice,
il sollicite qu'il soit fait une interdiction formelle de l'exploitation, sous
toutes ses formes (fabrication, vente ou usage en vue de la vente d'autres produits),
du dessin et modèle n°03191 dont il détient la propriété exclusive ;
Les sociétés NESTLE CÔTE D'IVOIRE, FOIRE DE CHINE, MONDIAL MÉNAGE,
SATOCI, SOCOPRIX, la Société Commerciale du Centre Ouest dite SOCOCE, la
Société Ivoirienne de Promotion de Supermarché dite PROSUMA, la Compagnie de
Distribution dite CDCI, la Société d'Alimentation dite SIAL exploitant sous
l'enseigne de TOP BUDGET et le Comptoir d'Alimentation GANAMET et FILS
s'opposent à l'action dirigée contre elles ;
Les sociétés SIAL, CDCI et SOCOPRIX, concluant par le canal de
leur conseil Maître MOHAMED Lamine Faye soutiennent que ladite action est
dénuée de fondement ; Qu'elles expliquent que le simple examen des
reproductions photographiques versées au dossier par Monsieur Ali MROUE révèle
que les dessins et modèles qu'il revendique consistent en des assiettes,
verres, cuillers, fourchettes et couteaux en matière plastique qui ne
présentent aucune particularité par rapport aux articles de même nature et de
la même matière qui sont commercialisés sur le marché ivoirien depuis des
dizaines d'années, soit antérieurement à l'arrêté de l'OAPI du 29 octobre 2010
;
Que les dessins et modèles revendiqués Monsieur Ali MROUE ne sont
pas nouveaux au regard de l'article 3 alinéa 1 de l’Annexe IV de l'Accord de
Bangui ;
Qu'en tout état de cause, elles ne sont que des entreprises de
distribution qui importent et vendent divers articles de ménage et de table en
matière plastique et elles ne se sont jamais prévalues d'un quelconque droit de
propriété intellectuelle sur les modèles et dessins ;
Qu'ainsi, elles sollicitent leur mise hors de cause dans le
présent contentieux relevant de la revendication d'un droit exclusif de
propriété sur des dessins et modèles industriels ; Qu'au demeurant, l'OAPI
n'étant pas la seule institution d'enregistrement des dessins, modèles et
marques, elles font valoir que les dessins et modèles concernés sont déposés et
enregistrés auprès de l'Institut de la Propriété Intellectuelle en France, en
vertu de la Convention de Paris, érigée par l'Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle dite OMPI à laquelle la Côte d'Ivoire est partie ;
La société SATOCI, ayant pour conseil la SCPA Houphouet-Soro et
Associés, soutient que la demande de Monsieur Ali MROUE aux fins d'interdiction
de l'exploitation des dessins et modèles n°03191 ne peut prospérer dans la
mesure où ils ne sont pas nouveaux pour être exploités, sous forme d'articles
de vaisselle qui existaient déjà avant le dépôt fait par celui-ci ;
Or, selon les dispositions de l'article 2 de l'Annexe IV de
l'Accord de Bangui, un dessin ou modèle ne peut faire l'objet d'un
enregistrement s'il n'est pas nouveau ;
Qu'en tout état de cause, l'enregistrement effectué par Monsieur
Ali MROUE ne lui est pas opposable puisque l'article 7 du texte susvisé
autorise le tiers qui, comme elle, exploitait déjà le dessin ou modèle
litigieux au moment du dépôt de la demande d'enregistrement, à l'utiliser pour
les besoins de son entreprise ; Poursuivant, la société SATOCI formule une
demande reconventionnelle aux fins de radiation de l'enregistrement effectué
par Monsieur Ali MROUE pour non-respect des critères de nouveauté et
d'originalité prévus par l'Annexe IV de l'Accord de Bangui relatif aux dessins
et modèles industriels ;
Par des conclusions en réplique en date du 17 novembre 2013,
Monsieur Ali MROUE fait valoir que le fait pour un article d'exister depuis
plusieurs années ne dispense pas ceux qui le fabriquent ou l'exploitent de
justifier d'un droit de propriété ou d'exploitation sur ledit article ;
Que par ailleurs, le fait pour un dessin et modèle industriel
d'avoir été enregistré auprès d'une institution d'enregistrement en Europe ou
partout ailleurs ne dispense pas de son enregistrement dans l'institution sur
la propriété intellectuelle de la zone de son exploitation ou de sa
commercialisation, l'OAPI en l'occurrence ;
Que s'agissant de la demande reconventionnelle de la société
SATOCI aux fins de radiation de son enregistrement, elle est mal fondée dans la
mesure où elle ne s'appuie pas sur un arrêté de concession de licence tel que
prévu par l'article 23 de l'Annexe IV de l'Accord de Bangui relatif aux dessins
et modèles industriels ;
Par des écritures datées respectivement des 24 et 27 décembre
2014, les sociétés SIAL, CDCI, SOCOPRIX et SATOCI réitèrent leurs prétentions
et moyens ;
Dans ses conclusions écrites en date du 20 février 2014, le
Ministère Public auquel la procédure a été communiquée a conclu à
l'irrecevabilité de la demande reconventionnelle de la société SATOCI et au mal
fondée de l'action de Monsieur Ali MROUE motifs pris de ce que les dessins et
modèles concernés étant déjà exploités en Côte d'Ivoire, pays membre de l'OAPI,
l'exclusivité qu'il revendique n'est pas opposable aux sociétés présentement
assignées ;
Chacune des parties produit diverses pièces au dossier.
SUR CE
[…]
AU FOND
Sur l'action principale de Monsieur Ali MROUE
La demande aux fins d'interdiction formelle de l'exploitation,
sous toutes ses formes, du dessin et modèle n°03191
Monsieur Ali MROUE sollicite l'interdiction formelle de
l'exploitation, sous toutes ses formes, du dessin et modèle n°03191 dont il
détient la propriété exclusive ; Il fonde son action sur l'article 3 de
l'Annexe IV de l'Accord de Bangui relatif aux dessins et modèles industriels
qui dispose que « Tout créateur d'un dessin ou modèle industriel et ses
ayants cause ont le droit exclusif d'exploiter ce dessin ou modèle et de vendre
ou faire vendre à des fins industrielles ou commerciales les produits
dans lesquels ce dessin ou modèle est incorporé .... » ;
En l'espèce, il n'est pas contesté que Monsieur Ali MROUE a déposé
à l'Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle dite OAPI, les
dessins et modèles industriels d'articles de ménage en matière plastique, à
savoir : assiettes, verres, cuillers, fourchettes et couteaux et que lesdits
dessins et modèles ont été enregistrés sous le n°03191, par arrêté
n°10/0193/0API/DP/DGA/DPI/SSD délivré à Yaoundé le 29 octobre 2010 ; Cependant,
pour opposer cet enregistrement aux défenderesses et leur faire interdiction
formelle de l'exploitation desdits dessins et modèles, il est nécessaire que
soient réunies les conditions inhérentes aux dessins et modèles eux-mêmes et
que les défendeurs ne se trouvent pas dans une situation d'inopposabilité ; A
cet égard, l'article 2 de l'Annexe IV de l'Accord de Bangui suscité dispose que
« Un dessin ou modèle industriel est nouveau, s'il n'a pas été divulgué en
tout lieu du monde, par une publication sous forme tangible, par un usage ou
par tout autre moyen avant la date du dépôt ou, le cas échéant, avant la date
de priorité de la demande d'enregistrement. » ;
En l'espèce, il se révèle des divers connaissements et bons
d'expédition et de livraison produits au dossier par les défendeurs que ceux-ci
font usage, depuis plusieurs années, des articles de ménage identiques, en tous
points, aux dessins et modèles revendiqués par Monsieur Ali MROUE ; Il est
ainsi établi que les dessins et modèles concernés préexistaient avant
l'enregistrement effectué par le demandeur qui déclare d'ailleurs lui-même
qu'il n'a pas encore commencé sa production par crainte d'une concurrence
déloyale de la part des défendeurs ; Il en résulte que lesdits dessins et
modèles ne sont pas nouveaux, au regard de l'article 2 alinéa 2 de l'Annexe IV
de l'Accord de Bangui ci-dessus cité ; Or, aux termes de l'article 7 du même
instrument juridique, « Le dessin ou modèle industriel enregistré ne produit
pas d'effet à l'égard du tiers qui, au moment du dépôt de la demande
d'enregistrement exploitait déjà ledit dessin ou modèle sur le territoire de
l'un des Etats membres ou avait pris des mesures nécessaires pour cette
exploitation. Ce tiers est autorisé à utiliser ce dessin
ou modèle pour les besoins de son entreprise, dans ses propres ateliers ou dans
ceux d'autrui. » ; Cette disposition qui limite les droits conférés au
bénéficiaire de l'enregistrement d'un dessin ou modèle industriel, lui interdit
de remettre en cause les droits acquis des tiers qui exploitaient déjà ledit
dessin ou modèle mais qui ont négligé ou qui n'ont pas cru devoir le faire
enregistrer à l'institution de propriété intellectuelle idoine ;
Il s'infère de tout ce qui précède que l'enregistrement effectué
par le demandeur, qui n'aurait jamais dû s'obtenir pour un défaut de nouveauté,
en application de l'article 2 de l'Accord de Bangui relatif aux dessins et
modèles industriels, n'est pas opposable aux défendeurs ;
Il y a lieu, en conséquence, de déclarer Monsieur Ali MROUE mal
fondé en son action et l'en débouter.
L'exécution provisoire
Monsieur Ali MROUE sollicite l'exécution provisoire du présent
jugement ; Cependant, le Tribunal ayant jugé sa demande principale mal fondée,
la présente demande s'en trouve sans objet et sans intérêt pour lui ;
Il y a donc lieu de dire la demande d'exécution provisoire sans
objet.
Sur la demande reconventionnelle de la société SOTACI
La société SOTACI sollicite la radiation de l'enregistrement
effectué par Monsieur Ali MROUE pour non-respect des critères de nouveauté et
d'originalité prévus par l'Annexe IV de l'Accord de Bangui relatif aux dessins
et modèles industriels ; Il résulte de l'examen de l'Annexe IV de l'Accord de
Bangui relatif aux dessins et modèles industriels que celui-ci ne prévoit pas
expressément la radiation d'une marque dont l'enregistrement aurait été obtenu
en violation des critères de nouveauté et d'originalité ;
Cependant, l'article 23 de l'Annexe III de l'Accord de Bangui
relatif aux marques de produits ou de services auquel l'on aurait pu valablement
se référer si les conditions en étaient réunies prévoit la radiation comme
étant la sanction du non usage d'une marque enregistrée, sans excuses
légitimes, pendant une durée ininterrompue de cinq ans, sur le territoire
national de l'un des Etats membres de l'OAPI ; En l'espèce, ce n'est pas la non
utilisation de ses dessins et modèles que les défendeurs, et plus précisément
la société SOTACI opposent à Monsieur Ali MROUE ; Il en résulte que la demande
reconventionnelle de la société SOTACI aux fins de radiation de
l'enregistrement effectué par Monsieur Ali MROUE est mal fondée et doit, pour
cela, être rejetée.
Sur les
dépens
Monsieur Ali MROUE succombe
;
Il y a lieu de le condamner
aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement,
contradictoirement et en premier ressort ;
Constate la non conciliation
des parties ;
Déclare Monsieur Ali MROUE
et la société SATOCI recevables respectivement en leur action principale et
demande reconventionnelle ;
Dit Monsieur Ali MROUE mal
fondé en son action ;
L'en déboute ;
Dit la société SATOCI mal
fondée en sa demande reconventionnelle ;
L'en déboute ;
Dit la demande d'exécution
provisoire sans objet ;
Condamne Monsieur Ali MROUE aux dépens.