Tribunal de première instance de Garoua
Ordonnance de référé N°17/R du 21 septembre 2005
SADJO MABI
c/
COMITE PROVINCIAL DE LUTTE CONTRE LA PIRATERIE
Nous, Juge des référés ;
Attendu que par exploit du 09 Août 2005 de Maître Alain
METANGMO ; Huissier de Justice à Garoua non encore enregistré, Monsieur
SADJO MABI, vendeur de cassettes et "Compact DISCS" (CD) à Garoua a
fait assigner le Comité Provincial de lutte contre la Piraterie pour le Nord en
mainlevée d’une saisie ;
Attendu que le requérant expose que le 13 Juillet 2005, il a fait
l’objet d’une saisie vexatoire de la part du Comité Provincial de lutte contre
la Piraterie ; que la fiche de saisie par ailleurs non référencée ne
mentionne pas avec exactitude le nombre de "Compact DISCS" qui ont
été saisis avec leurs références et ne fait pas état de la saisie des
cassettes ;
Qu’en outre le groupe d’individus ayant pratiqué la saisie à
savoir DJENTCHEU MOUALEU Pierre, Chef de service provincial de la
cinématographie et des productions audiovisuelles et les agents A. César, Belle
et Nyet, est irrégulier en ce que sa composition a été faite en violation de la
Décision N°02/48/MINCULT/CAB du 11 novembre 2002 portant création du Comité
National de lutte contre la Piraterie ;
Que ce texte dispose en son article 5 que le Comité Provincial
comprend :
- le Délégué Provincial de la culture Président ;
- un Représentant des Services du Gouverneur du Ressort ;
- un Représentant de la Délégation Provinciale de la Sûreté
Nationale ;
- un Représentant de la Légion de Gendarmerie ;
- un Représentant des Services Provinciaux des Douanes ;
- quatre Représentants des organismes nationaux de gestion
collective ;
Que bien plus, la saisie a été faite au mépris de la législation
en vigueur en matière des voies d’exécution, qui subordonne pareil acte à
l’autorisation préalable du Président du Tribunal de Première Instance, juge
des requêtes ;
Qu’il y a dès lors urgence à ordonner mainlevée de la saisie
conformément aux articles 86 et suivants de la loi N°2000/011 du 19 Décembre
2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins du droit d’Auteur ;
Qu’il ajoute que la restitution des effets saisis devra se faire
sous astreinte de 50 000 Francs par jour de retard à dater du prononcé de
la décision ;
Attendu que pour faire échec à la demande, Maître TOUMBAROU
DJODDA, Avocat Conseil du Comité Provincial de Lutte Contre la Piraterie pour
le Nord dans ses écritures du 19 Août 2005 invoque l’incompétence du juge des
référés au motif que la demande de Monsieur SADJO MABI préjudicie au fond du
litige ;
Qu’il articule que les auteurs des œuvres de l’esprit jouissent
sur celles-ci des droits protégés par la loi N°2000/011 du 19 Décembre
2000 ;
Qu’à cet égard, la distribution par vente, location,
l’exploitation, l’importation d’une œuvre de l’esprit est soumise à une
autorisation préalable exigée par le décret N°90/1463 du 09 Novembre 1990,
autorisation également exigée par l’article 2, de la loi N°88 /017 du 16
Décembre 1988 ;
Qu’au nombre des sanctions prévues en cas d’inobservation de cette
condition légale figurent des sanctions administratives ;
Qu’au cours de la mission de contrôle et de saisie des œuvres de
l’esprit piratées dans la ville de Garoua en date du 13 Juillet 2005 du Comité
Provincial de lutte contre la Piraterie, Monsieur SADJO MABI soi-disant vendeur
de cassettes et CD audiovisuels a été trouvé non seulement dépourvu de
l’autorisation, mais surtout mettant à la disposition du public des œuvres de
l’esprit piratées ou pire encore des films pornographiques sur CD ;
Que conformément aux dispositions légales, des sanctions
administratives ont été prises à son encontre, notamment la confiscation des
enregistrements sonores incriminés et la taxation de l’amende par le
responsable provincial de l’Administration chargée de la cinématographie ;
Que la restitution des objets ainsi saisis ne peut être faite
qu’après paiement intégral au trésor public du montant de l’amende
arrêtée ;
Attendu qu’en réplique aux allégations du défendeur, SADJO MABI
soutient dans ses conclusions déposées le 30 Août 2005, qu’il a pris pour base
de son action trois dispositions légales ;
Que tout d’abord il se fonde sur l’article 87 de la loi N°2000/011
du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins qui
dispose que « faute pour le saisissant de saisir la juridiction
compétente dans les quinze jours de la saisie, mainlevée de cette saisie peut
être ordonnée à la demande du saisi ou du tiers saisi, par le Président
statuant en référé » ;
Que pourtant des recherches entreprises dans les trois greffes des
juridictions du ressort du Département de la Bénoué, n’ont révélé l’existence
de la saisine d’aucune juridiction au plus tard le 25 Juillet 2005 par ledit
Comité à l’effet de valider la saisie pratiquée le 13 Juillet 2005 sur ses
biens ;
Que c’est pour cela qu’il est fondé d’en demander la mainlevée et
la restitution ;
Qu’ensuite, il s’appuie sur l’article 5 de la décision
N°02/48/MINCULT/CAB du 11 Décembre 2002 portant création du Comité National de
lutte contre la Piraterie de Monsieur le Ministre d’Etat Chargé de la Culture
qui énonce que « les Comités Provinciaux sont placés sous l’autorité du
Coordonnateur National. Chaque Comité Provincial comprend :
- le Délégué Provincial de la culture Président ;
- un Représentant des Services du Gouverneur du Ressort ;
- un Représentant de la Délégation Provinciale de la Sûreté
Nationale ;
- un Représentant de la Légion de Gendarmerie ;
- un Représentant des Services Provinciaux des Douanes ;
- quatre Représentants des Organismes Nationaux de Gestion
Collective » ;
Que contrairement à cette décision le Gouverneur de la Province du
Nord a créé par arrêté N°114/AP/D/SG/ASD du 29 Novembre 2004 un autre comité
dont la composition est irrégulière, lequel a procédé à la saisie
querellée ;
Que dans cet arrêté, le rôle du Président a été attribué au
Gouverneur de la Province du Nord ou son représentant au lieu du Délégué
Provincial de la Culture pour le Nord, et le Procureur Général près la cour
d’appel ou son Représentant fait partie du Comité alors que le Ministre d’Etat
chargé de la Culture n’en a pas décidé ainsi ;
Qu’en outre il n’est pas justifié que tous les organismes de
gestion collective appelés au Comité Provincial ont une existence légale ;
que la composition du Comité Provincial de lutte contre la Piraterie du Nord
étant irrégulière, c’est à bon droit qu’il demande mainlevée et la restitution
de ses biens ;
Qu’enfin il se base sur les dispositions d’ordre public des
articles 37, 38 et 39 du Code d’Instruction Criminelle applicable en matière
d’établissement d’un procès–verbal de saisie à l’occasion d’une infraction,
lesquelles n’ont pas été observées par le défendeur ;
Qu’en effet l’acte de saisie indique ; « DJENTCHEU
MOUALEU Pierre, chef de service provincial de la cinématographie et des
productions audiovisuelles ;
A. Oscar, Agent ;
BELLO, Agent ;
NYET, Agent » ;
Qu’il s’agit là des membres du Comité Provincial de Lutte contre
la Piraterie du Nord ; que pourtant aucune de ces personnes n’est visée
dans l’article 5 de la décision sus-énoncée de Monsieur le Ministre d’Etat
chargé de la culture et au surplus dans l’arrêté provincial de Monsieur le
Gouverneur de la province du Nord ;
Que par ailleurs les biens saisis n’ont pas été clairement
identifiés ; que les mentions les concernant sont dubitatives alors que
dans l’intérêt de la transparence et de permettre à qui de droit de vérifier la
régularité de la saisie, l’acte de saisie devrait comporter :
-les noms, adresses et signatures de tous ceux qui ont pris part à
la saisie ;
-l’identification précise, éliminant toute confusion des
différents biens saisis ;
-la signature du saisi ;
Que les saisissants ayant ignoré toutes ces indications, la saisie
est dépourvue de tout effet et par conséquent, mainlevée se doit d’être
ordonnée ;
Attendu qu’en réaction à l’argumentation ci-dessus développée,
Maître TOUMBAROU Djodda à l’Audience du 31 Août 2005 a réitéré l’incompétence
du juge de céans, arguant cette fois que l’arrêté provincial de désignation des
membres du Comité de lutte contre la piraterie pour le Nord était un acte
Administratif ;
Qu’en tant que tel, il ne peut être déféré devant un juge
civil ;
Qu’il convient de rejeter la demande ;
Attendu sur l’exception d’incompétence, que la compétence du juge
des référés aux termes des articles 182 et suivants du Code de Procédure Civile
sera retenue dans tous les cas d’urgence pourvu que l’ordonnance à intervenir
ne soit pas de nature à préjudicier au principal ;
Que par ailleurs il découle des dispositions des articles 86 et 87
de la loi N°2000/011 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux
droits voisins du droit d’auteur que le président du tribunal statuant en
matière de référé est compétent pour connaître des actions en mainlevée des
saisies ;
Qu’en l’espèce l’acte d’assignation vise la mainlevée d’une saisie
pour cause d’irrégularité de procédure et non l’annulation d’un acte
administratif ou Civil.
Qu’il s’ensuit que le juge des référés de céans est
compétent ;
Qu’il échet par conséquent d’écarter l’exception d’incompétence
ainsi soulevée ;
Attendu sur le bien-fondé de la demande, qu’il convient de prime
abord de relever afin d’éluder l’amalgame que semble développer le défendeur
que l’exploitation des œuvres de l’esprit est régie par une dualité de textes
législatifs ; qu’il y a d’une part la loi N°88/017 du 16 Décembre 1988
fixant l’exercice de l’activité cinématographique qui régule les rapports entre
l’Etat et toute personne physique ou morale qui exerce cette activité ;
Qu’il y a d’autre part la loi N°2000/011 du 19 Décembre 2000
relative au droit d’auteur et aux droits voisins qui régit les rapports entre
les titulaires des œuvres de l’esprit, personnes physiques ou personnes morales
de droit privé et toutes personnes qui se livrent à l’exploitation de ces
œuvres ;
Qu’il est certes constant que l’exploitation de toute œuvre de
l’esprit est soumise à l’observation des deux lois ; que toutefois la
sanction en cas de carence doit respecter deux procédures différentes suivant
que la violation porte sur la loi N°88/019 ou qu’elle porte sur celle
N°2000/011 ;
Que dans le premier cas, il s’agira de sanctions administratives
prononcées par décision du responsable provincial de l’administration chargée
de la cinématographie qui en transmet ampliation par tout moyen laissant trace
écrite, au mis en cause pour valoir ordre de versement au trésor public, au
responsable territorialement compétent des services du trésor ainsi qu’au
ministre chargé de la cinématographie ;
Qu’elles s’appliquent essentiellement dans l’hypothèse
d’exploitation sans autorisation administrative préalable ;
Que dans le deuxième cas par contre il s’agira, suivant les termes
de l’article 85 (2) de la loi N°2000/011, pour le titulaire des droits violés
ou toute personne morale constituée pour défendre un droit, de solliciter la
mise en route de mesures punitives, notamment en se référant à l’autorité
judiciaire ;
Attendu qu’il résulte des productions notamment du document
intitulé Fiche de saisie sans numéro datée du 13 Juillet 2005 que la saisie
querellée a été pratiquée par le Comité Provincial de lutte contre la
Piraterie, mais le motif de la saisie n’y est pas été spécifié ;
Que c’est dans ses conclusions du 24 Août 2005 puis à l’audience
du 31 août 2005 que Maître TOUMBAROU DJODDA expliquera que cette saisie était
une sanction administrative prise contre le demandeur au motif qu’il exploitait
des œuvres de l’esprit sans autorisation préalable ;
Or attendu que le Comité Provincial de lutte contre la Piraterie
ne saurait se substituer à l’autorité administrative pour contrôler l’existence
ou non de l’autorisation d’exercice de l’activité cinématographique ;
Que dans l’exercice de sa mission légale qui est la défense des
droits des titulaires des œuvres de l’esprit tels que définis par la loi
N°2000/011 laquelle a été d’ailleurs visée dans la fiche sus-indiquée, ce
Comité se doit, conformément aux dispositions de l’article 85(2) de ladite loi,
d’obtenir une ordonnance du Président du Tribunal compétent lorsqu’il envisage
de pratiquer une saisie sur les effets de l’exploitant clandestin, ce qui n’a
pas été le cas en l’espèce ;
Qu’en outre la saisie effectuée, il doit saisir le Président du
Tribunal statuant en matière de référé dans les quinze jours suivant le
procès-verbal, autre disposition qui n’a pas été observée ;
Qu’au surplus il n’a pas été spécifié la quantité des objets
saisis, ce qui est également une violation du principe général en matière de
voies d’exécution ;
Qu’il échet, au bénéfice de tout ce qui précède de faire droit à
la demande ;
Attendu sur l’exécution provisoire, qu’il y a nécessité d’ordonner
cette mesure dès lors qu’il est acquis à la procédure que parmi les effets
saisis figuraient des "Compact Discs", objets dont la conservation
est tributaire d’une particulière attention ;
Attendu sur l’astreinte, que cette réclamation est nécessaire pour
assurer l’efficacité de la présente décision ;
Qu’il convient d’ordonner une astreinte comminatoire de 5000
francs par jour de retard à compter du prononcé de la décision dans la
restitution des objets indûment saisis ;
Attendu que toutes les parties ont comparu ;
Que le présent jugement doit être contradictoire à leur
égard ; Attendu que le défendeur qui succombe doit être condamné aux
dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement à l’égard des
parties ;
Au principal, renvoyons les parties à se pourvoir ainsi qu’elles
aviseront ;
Mais, dès à présent, vu l’urgence, ordonnons mainlevée de la
saisie pratiquée le 13 juillet 2005 (…)
Ordonnons une astreinte comminatoire de 5000 francs par jour de
retard à compter du prononcé de la décision dans la restitution des objets
indûment saisis ;
Disons notre ordonnance exécutoire sur minute (…).