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Cour d’appel de Brazzaville, Arrêt du 18 juillet 2006

Cour d’Appel de Brazzaville 

Arrêt du 18 juillet 2006

MP et ADECHOKAN AMANDATOU

c/

YOUNOUSSA FATI et YOUNOUSSA SALAMATOU

La Cour,

Considérant que par acte d'appel en date du 15 juillet 2004, passé par devant Monsieur le Greffier en Chef du Tribunal de Grande Instance de céans, Maître José MENDES TCHIBA, Avocat à la Cour, a déclaré formellement interjeter appel du jugement rendu par la Deuxième Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville ;

Considérant qu’il ressort des pièces versées au dossier que les dames YOUNOUSSA Fati et YOUNOUSSA Salamatou, propriétaires d'une marque nommée « SULTANA ALWAYS THE BEST » composée de trois couleurs (rouge, blanche et or) et d'une couronne royale ont sollicité et obtenu du Président du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville une ordonnance, dont le dispositif est ainsi conçu :

« Autorisons aux dames YOUNOUSSA Fati et YOUNOUSSA Salamatou (Etablissements SAMIRA) respectivement propriétaire et distributrice de la marque « SULTANA ALWAYS THE BEST ou SULTANA TOUJOURS LE MEILLEUR » de procéder par le Service des Enquêtes Economiques et Financières de la Direction de la Police Judiciaire à la description détaillée des produits marqués, importés, livrés et vendus à leur préjudice ;

­Disons que le Service des Enquêtes Economiques et Financières de la Direction de la Police Judiciaire fera la constatation de l’étendue de la distribution des produits contrefaits sur le marché congolais, assisté d’un Expert ou Conseiller en marque ;

Autorisons que les produits contrefaits soient saisis en deux exemplaires dans tous les entrepôts et étalages ;

Disons que les produits saisis seront remis aux requérants en vue de s'en prévaloir conformément à la loi ; Disons que le Service des Enquêtes Economiques et Financières de la Direction de la Police Judiciaire dressera un procès-verbal de constat et laissera copie de la présente aux détenteurs des objets saisis ;

Disons en outre que dans un délai de dix (10) jours, sous peine de nullité de la saisie-contrefaçon, les requérantes saisiront le Juge compétent, conformément à l'article 40 de l'Annexe III des Accords de Bangui ;

Disons enfin que notre ordonnance bénéficie de l'exécution provisoire sur simple minute avant enregistrement, sans caution, nonobstant toutes voies de recours. » ;

Qu'en exécution de cette ordonnance, le Service des Enquêtes Economiques et Financières de la Direction de la Police Judiciaire a procédé, à la date du 15 mars 2004 à des saisies avec dépossession d'un lot de 250 pagnes provenant des Etablissements ADE (Marna" Bonheur) et ICE, revêtus de l’insigne « SYLVANA ELEGANCE » ;

Considérant que, le 18 mars 2004 les Etablissements ADE (Maman Bonheur) et ICE, agissant en la personne de leur Directeur Commercial LAGUIDE Alfred, ayant pour Conseil Maître José MËNDES - TCHIBA, Avocat à la Cour ont sollicité mainlevée de l'ordonnance du 10 Mars 2004 du Président du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville de ce que le Service des Enquêtes Economiques et Financières de la Direction de la Police Judiciaire a violé les dispositions des articles 48 et suivants de l'Annexe III des Actes du 02 mars 1977 et du 24 février 1999 ;

Que c'est dans ces conditions que les Etablissements ADE et ICE pris en la personne de ADECHOKAN Amandatou ont été retenus dans les liens de la prévention sous l'inculpation d'exploitation illicite d'une marque enregistrée.

Qu'en cause d'appel, toutes les parties ont comparu et conclu ;

Considérant que les Etablissements ADE et ICE, pris en la personne de leur directeur commercial, Monsieur LAGUIDE Alfred sont poursuivis sous la prévention d'avoir à Brazzaville, courant 2004, en tous cas depuis tel que les faits ne sont pas couverts par la prescription, s'être rendu coupable du délit d'exploitation illicite d'une marque enregistrée ;

Fait prévu et puni par l'article 37 de l'Annexe III de l'Accord portant révision de l'Accord de Bangui du 02 mars 1977, instituant une Organisation Africaine de la Protection Intellectuelle ;

Considérant que les premiers Juges ont motivé leur décision sur la base de l'Annexe III de l'Accord de Bangui que dispose :

« Sont punis d'une amende de 1.000.000 de Francs CFA à 6.000.000 Francs CFA et d'un emprisonnement de trois (3) mois à deux (2) ans :

a.      Ceux qui, frauduleusement apposent sur les produits ou objets de leur commerce une marque existant à autrui ;

b.      Ceux qui sciemment vendent ou mettent en circulation une marque contrefaite ou frauduleusement apposée ou ceux qui, sciemment mettent en vente, fournissent ou offrent de fournir des services ou des produits sous cette marque ;

c.      Ceux qui font imitation frauduleuse d'une marque de nature à tromper l'acheteur ou fait usage d'une marque frauduleusement imitée ;

d.      Ceux qui, sciemment vendent ou mettent en vente un ou plusieurs produits revêtus d'une   marque frauduleusement imitée ou portant des indicateurs propres à tromper l'acheteur sur la nature des produits, ou ceux qui fournissent ou offrent à fournir des produits sous une telle marque.

DU CHAMP D'APPLICATION DES ACCORDS DE BANGUI

Considérant que les seconds juges de la Cour de céans sont appelés à se prononcer sur les faits d'espèce, et sur la base des pièces et débats résultant de la procédure, de dire si les faits reprochés au prévenu sont constitutifs ou non du délit d'exploitation illicite d'une marque enregistrée ;

Que le champ d'application du délit incriminé est prévu et puni par les Accords de Bangui du 02 mars 1977, instituant une Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI), plus précisément en l'Annexe III des marques de produits ou de services ;

Que d'emblée, à la lecture de la décision des premiers Juges, ces derniers se sont fourvoyés en appliquant certaines dispositions de l'Annexe II, des modèles d'utilité sur les marques de produits ou de services ;

Considérant que les lois en matière pénale sont d'interprétation restrictive ;

Qu'il est versé au dossier par dames YOUNOUSSA Fati et Salamatou un arrêté n°0023/02 OAPI, portant enregistrement d'une marque dénommée « SULTANA ALWAYS THE BEST », vignette déposée le 19 février 2002 à Yaoundé par la société FAYOUN Sarl, domiciliée à Cotonou - Bénin, sous le numéro 145.120 ;

Qu’il est également fait la reproduction de la marque composée de trois couleurs : ROUGE - BLANC et OR ;

Le logo est une forme ovale rectangulaire composé d'un fond blanc, de deux bordures rouges au milieu duquel est inscrit en haut et en lettres capitales « SULTANA » et en bas « ALWAYS THE BEST » ;

Dans le rond central une couronne royale imprimée dans une couleur or ;

Qu'il n'est fait aucune mention tant sur l'arrêté que sur la feuille de reproduction de la marque que « SULTANA ALWAYS THE BEST » peut toutefois être traduit en français « TOUJOURS LE MEILLEUR » selon la destination de la marchandise ;

Qu'il est précisé à l'article 7 alinéa 1er que :

« L'enregistrement de la marque confère à son titulaire le droit exclusif d'utiliser la marque, ou un signe lui ressemblant pour les produits ou services pour lesquels elle a été enregistrée, ainsi que pour les produits ou services similaires » ;

Mais considérant que l'alinéa 3 du même article stipule :

« L'enregistrement de la marque ne confère pas à son titulaire le droit d'interdire aux tiers l'usage de bonne foi de leur nom de leur adresse, d'un pseudonyme, d'un nom géographique, ou d'indications exactes relatives à l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, le lieu d'origine ou l'époque de la production de leurs produits ou de la présentation de leurs services, pour autant qu’il s'agisse d'un usage limité à des fins de simples identification ou d'information et qui ne puisse induire le public en erreur sur la personne des produits ou services » ;

Considérant qu’il est versé au dossier des échantillons de pagnes de logos distinctifs aux fins de détermination d'une éventuelle contrefaçon ou imitation ;

Que paradoxalement l'échantillon du pagne apposé de la marque enregistrée « SULTANA ALWAYS THE BEST » n'y figure nulle part au dossier ;

Considérant que les premiers juges ont fait une mauvaise lecture de la loi en appliquant les dispositions prévues par l’Annexe II au contexte actuel du dossier, en soutenant que la loi laisse la latitude au dépositaire d'une marque la possibilité au sein de cette marque d'apporter certains aménagements ;

Que la réalité est tout autre ;

Que si les dames YOUNOUSSA Fati et Salamatou sont en conformité avec les articles 14 et 16 de ladite loi, il en est autrement à la lecture de l'article 21 alinéa 3 où il est précisé :

« Aucun changement ne peut être apporté ni à la marque, ni à la liste des produits ou services pour lesquels ladite marque avait été enregistrée, sous réserve du droit du titulaire de limiter cette liste » ; ­

Que de même, s'agissant de l'action en contrefaçon, l'enregistrement doit être en vigueur et le principe de la spécialité respecté ;

Qu'en vertu du principe de la spécialité de la marque, une marque enregistrée n'est protégée que pour des produits et services désignés dans l'acte d'enregistrement et les produits et services similaires ;

Mais considérant qu'en lieu et place du logo enregistré sous le n°45120 à Yaoundé, le 19 février 2002, y figure au dossier un autre logo dénommé « SULTANA Les Griffes de Fati » ;

Qu'indépendamment du mobile qui aurait entraîné les dames YOUNOUSSA Fati et Salamatou à apporter des changements sur leurs logos, la loi est bien explicite, et il doit figurer au dossier un certificat justifiant le changement ; répondant aux mêmes critères exigés pour le dépôt de la demande conformément à l'article 8 de la présente Annexe III, régissant les marques de produits ;

Que les premiers juges ont également ordonné des saisies sur la base de cette marque déposée, sans en vérifier conformément à l'article 48 alinéa 2, si le titulaire du droit avait justifié l'enregistrement de la marque par la production, comme cela a été constaté au dossier, d'un arrêté, et surtout la production de la preuve de non-radiation et de non-déchéance ;

Qu'en effet, il est troublant de constater que le titulaire d'une marque enregistrée bien précise, tout en se prévalant de cette marque enregistrée se complait à présenter à la justice des échantillons d'un autre logo, comme si cette marque enregistrée était radiée ou tombée en désuétude.

SUR LES CONTOURS DU MECANISME DE LA CONTREFAÇON

Considérant qu'après avoir défini le champ d'application des textes régissant en la matière les dispositions sur l'Accord de Bangui sur les marques et produits, il y a lieu ensuite d'examiner les contours de la contrefaçon de la marque ainsi déposée ;

Que la notion de contrefaçon de marques est spécifique et toujours complexe ; ­

Qu'il s'agit en l'espèce en comparant le logo ainsi incriminé de « SYLVANA ELEGENCE BEST QUALITY » de déceler la fraude dans sa reproduction ou l'imitation du signe constituant la marque ;

Que la description du logo « SYLVANA ELEGANCE BEST QUALITY » est composée de la couleur orange sur fond blanc, d'un dessin de grande figure géométrique rectangulaire, abritant une ovale au milieu de laquelle se lève un soleil ;

Qu'à la lumière des échantillons versés au dossier, il y a lieu d'emblée de relever que les deux logos ne se ressemblent guère, tant leurs différences sont nombreuses ;

­Que la première différence sautant aux yeux est celle de la couronne du côté de SULTANA et le soleil de SYLVANA ;

Que les insignes SYLVANA ELEGANCE ne peuvent prêter à confusion avec ceux de SULTANA ALWAYS THE BEST en tenant compte de leurs formes géométriques très distinctives d'une part et de leurs caractères, avec comme différence dans les côtés de part et d'autre de trois losanges au logo de SYLVANA ELEGANCE ;

Considérant en revanche, ce qui est frappant au vu des échantillons versés au dossier est la qualité des pagnes, qui à priori, est l'élément déclencheur pour attirer le client à faire son choix ;

Que même l'expertise aboutirait à ce résultat, en ce sens qu'en raison de la qualité d’un pagne exposé, les logos précités n'apporteraient aucune différence ;

Qu'au contraire, les titulaires de la marque enregistrée n'ont pas été à la hauteur de leur profession, en conférant sous des appellations multiformes leur marque, tantôt au nom de SULTANA ALWAYS THE BEST, tantôt à celui de SULTANA GRIFFES DE FATI, ou enfin SULTANA 10 ANS ;

Que le dépôt de leur marque n'est pas explicite, et susceptible elle-même de prêter à confusion ;

Qu’il est également reproché aux Etablissements ADE et ACE de mentionner sur leur logo « GRIFFES DU SOLEIL » ;

Qu'à contrario « SULTANA ALWAYS THE BEST » devient soudainement SULTANA GRIFFES DE FATI ;

Que sur le marché, il est rapporté par les parties qu’il existe aussi une marque non enregistrée au nom de « JULIANA SUPER SOLEIL » ;

Qu’en sortant elle-même de son cadre légal, la marque « SULTANA ALWAYS THE BEST » ne peut donc reprocher aux autres, ne justifiant d'aucun support juridique, de se conformer à la loi qu'elle a elle-même transgressée ;

Que s'agissant des noms et prénoms empruntés par SYLVANA, il a été démontré supra à l'article 7 alinéa 3 que l'enregistrement de la marque ne confère pas à son titulaire le droit d’interdire aux tiers l'usage de bonne foi desdits noms, adresse ou pseudonymes etc...

Considérant que le juge doit se prononcer à la lumière des éléments du dossier, de s'en convaincre à vérifier si la clientèle peut se tromper sur l'origine des produits et si le risque de confusion existe dans l'esprit du public ;

Considérant qu'au bénéfice de ces énonciations, il est constant que la marque revendiquée par les dames YOUNOUSSA Fati et Salamatou, n'est pas susceptible d'appropriation ;

Qu'en tout état de cause, les deux logos ne présentent aucune ressemblance et ne peuvent être confondus ;

Que les éléments constitutifs de l'infraction faisant gravement défaut, il y a lieu de dire que les premiers juges ont fait une application erronée de la loi ;

Que par voie de conséquence, il échet de relaxer sans peine ni dépens dame ADECHOKAN AMANDATOU.

SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

Considérant que les Etablissements ADE et ICE réclament la somme de cinquante millions (50.000.000) de Francs CFA à titre des dommages-intérêts aux dames YOUNOUSSA Fati et Salamatou ;

Considérant que le préjudice subi est manifestement établi par la saisie intempestive des services de la Police qui ont maladroitement saisi 250 pagnes en lieu et place de quelques échantillons de pagnes ;

Que le recours à la justice leur a causé un désagrément, les discréditant tout au long de cette procédure ;

Que la perte de confiance de ses clients mérite réparation ;

Que la Cour de céans apprécie souverainement le préjudice, et en application de l'article 407 du Code de Procédure Pénale, l'abus de constitution de partie civile est justifié et donne ainsi droit à des dommages-intérêts que la Cour fixe à Cinq Millions (5.000.000) de Francs CFA, en déboutant l'appelante de son surplus.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement en matière pénale et en dernier ressort ;

Dit qu'il a été bien appelé et mal jugé ;

Infirme en toutes ses dispositions le jugement correctionnel rendu le 14 Juillet 2004 par la Deuxième Chambre Correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Brazzaville ;

EVOQUANT ET STATUANT A NOUVEAU

Constate qu'il n'y a point de ressemblance entre les logos de SULTANA ALWAYS THE BEST et celui de SYLVANA ELEGANCE BEST QUALITY ;

Dit et juge que le délit d'exploitation illicite de la marque SULTANA ALWAYS THE BEST, n'est pas constitué ;

EN CONSEQUENCE

Relaxe dame ADECHOKAN AMANDATOU des fins de la poursuite, sans peine ni dépens ;

Déboute dames YOUNOUSSA Fati et Salamatou de leurs demandes en dommages-intérêts ;

SUR LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE

Reçoit dame ADECHOKAN AMANDATOU en son action ;

L'en dit bien fondée, et y faisant droit ;

Condamne dames YOUNOUSSA Fati et Salamatou à lui payer la somme de cinq Millions (5.000.000) de Francs CFA à titre des dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile ;

Déboute dame ADECHOKAN AMANDATOU du surplus de sa demande ;

Met les dépens à la charge du Trésor Public.