Cour d’Etat du Niger
Arrêt N°11-250-civ du 01er décembre 2011
SONITEL
c/
BNDA
La Cour,
Après lecture du rapport de Monsieur Adama Harouna, conseiller
rapporteur, les conclusions du Ministère Public et après en avoir délibéré
conformément à la loi ;
Statuant sur le pourvoi formé le 18 juillet 2007 par la SONITEL,
représentée par son Directeur Général, assisté de la SCPA MANDEL, avocats au
barreau de Niamey, contre l’arrêt n°140/04 du 21 juin 2004 de la Cour d’Appel
de Niamey qui a infirmé le jugement n°181 du 28 mars 2003 du tribunal régional
de Niamey, et condamné la SONITEL à payer au BNDA la somme de 180 000 F CFA au
titre des redevances des droits d’auteur pour les années 1999, 2000 et 2001,
ainsi que celle de 500 000 F CFA à titre de dommages et intérêts pour
résistance abusive ;
Vu la loi 2000-10 du 14 août 2000 ;
Vu l’ordonnance n°2010-16 du 15 avril 2010 déterminant
l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour d’Etat ;
Vu la requête de pourvoi en date du 9 juillet 2007 déposée au
greffe de la Cour d’Appel de Niamey le 18 juillet 2007 sous le n°31/2007 et
enregistrée au greffe de la Cour Suprême le 15 janvier 2008 sous le n°08-011 ;
Vu l’exploit de signification en date du 13 juillet 2007 de ladite
requête au Bureau National des Droits D’auteur (BNDA) ;
Vu les pièces du dossier ;
Vu les conclusions du Ministère Public ;
EN LA FORME
Attendu que le pourvoi de la SONITEL a été fait dans les forme et
délai de la loi ; qu’il y a lieu de le déclarer recevable ;
AU FOND
Attendu qu’à l’appui de son pourvoi, la SONITEL invoque deux (2)
moyens de cassation ;
Premier moyen de cassation tiré de la violation de la loi et de
l’insuffisance de motifs
Attendu que ce moyen est articulé en deux branches ;
Première branche du moyen pris de la violation des articles 1er
de l’ordonnance 93-027 du 30 mars 1993 portant sur le droit d’auteur, les
droits voisins et les expressions du folklore, 1 et 2 alinéa 7 de l’arrêté n°157/MCI/MCC
du 14 octobre 1997 portant ordre tarifaire relatif au droit d’auteur, aux
droits voisins et aux expressions du folklore, en ce que, pour décider que
SONITEL est assujettie à la redevance fixée par l’arrêté n°157/MCI/MCC du 14
octobre 1997, le juge d’appel a retenu, d’une part, que ledit arrêté « classe
parmi les assujettis aux redevances les réseaux téléphoniques, dans la rubrique
« tarif B8 », et, d’autre part, que l’ordonnance 93-027 du 30 mars 1993 dispose
que « l’œuvre est considérée comme communiquée (au public) même si personne ne
la reçoit, ne la voit, ni ne l’écoute effectivement » et vise expressément les
réseaux téléphoniques, ce qui rend inutile le débat sur le point de savoir si
la SONITEL diffusait ou non des œuvres artistiques, alors même qu’il s’infère
de la combinaison de l’article 1er de l’ordonnance 93-027 du 30 mars
1993 et des articles 1er et 2 alinéa 7 de l’arrêté 157/MCI/MCC du 14 octobre
1997 que, contrairement à ce qu’a retenu le juge d’appel, le paiement de la
redevance est lié à l’usage des œuvres protégées, comme le laissent clairement
entendre, d’une part, la définition de « l’exécution publique » dans
l’ordonnance 93-27 du 30 mars 1993 qui vise « le fait de réciter, jouer,
danser, représenter ou interpréter autrement une œuvre, et, d’autre part,
l’article 1er de l’arrêté 157/MCI/MCC du 14 octobre 1997 qui indique
de façon non équivoque que « les tarifs suivants s’appliquent aux usagers ou
clients, utilisateurs des œuvres littéraires et artistiques », et prévoit dans
le tableau les rubriques « genre d’utilisation » et « clients », toutes choses
indiquant que le paiement de la redevance est lié à l’usage des œuvres
protégées, comme l’a du reste bien perçu le premier juge ;
Attendu que pour la demanderesse, bien que le tarif B8, que l’on
tente de lui appliquer, concerne « l’exécution publique » et non la «
communication » qui est un usage différent, l’on se demande pourquoi le juge
d’appel est allé puiser dans la définition de ce dernier vocable l’argument
selon lequel la redevance est due « même si personne ne la reçoit, ne la voit
ni ne l’écoute effectivement » alors que, d’une part, la définition de
l’exécution publique ne comporte pas une telle précision et que, d’autre part,
contrairement aux énonciations de l’arrêt attaqué, l’ordonnance 93-27 du 30
mars 1993 ne vise nulle part les réseaux téléphoniques ;
Que selon elle, même à supposer que la définition de la «
communication » s’applique au cas d’espèce, force est de constater que le juge
d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ladite définition, celle-ci
postulant bien que l’usage est la condition de l’atteinte aux droits protégés,
et donc la perception de la redevance, lorsqu’elle vise « le fait de rendre
l’œuvre accessible au public par des moyens autres que la distribution
d’exemplaires, tout procédé qui est nécessaire pour rendre l’œuvre accessible
au public, et qui le permet » ;
Que la SONITEL soutient que la seule précision, somme toute
logique, apportée par la dernière phrase de cette définition est que, dès lors
que l’usage a été fait, il importe peu que le résultat escompté ait été
atteint, à savoir que la communication ait été effectivement reçue, vue ou
écoutée ;
Attendu que le BNDA n’a produit aucun mémoire en défense, comme
l’atteste le certificat de non production de mémoire en date du 28 janvier 2008
établi par le greffier en chef de la Cour Suprême et versé au dossier ;
Attendu que pour accéder à la demande du BNDA et décider que la
SONITEL était astreinte au paiement de la redevance considérée, les juges
d’appel ont relevé que « le premier juge a débouté le BNDA de toutes ses
demandes au motif que seul l’utilisateur ou l’usager de l’œuvre est astreint au
paiement de la redevance ; que le BNDA ne prouve pas que la SONITEL, par
l’exploitation de ses réseaux téléphoniques, utilise ou est usager d’une
quelconque œuvre d’un auteur déterminé » ;
« Mais attendu que l’article 1er de l’arrêté
n°157/MCI/MCC du 14 octobre 1997 portant ordre tarifaire relatif au droit
d’auteur, aux droits voisins et aux expressions du folklore, classe parmi les
assujettis aux redevances les réseaux téléphoniques, dans la rubrique « tarif
B8 » relativement à l’exécution publique ; qu’en outre, en disposant que
l’œuvre est considérée comme communiquée (au public) même si personne ne la
reçoit, ne la voit ni ne l’écoute effectivement et, en visant expressément les
réseaux téléphoniques, l’ordonnance 93-27 du 30 mars 1993 rend inutile le débat
sur la question de savoir si la SONITEL diffuse ou non des œuvres artistiques ;
que c’est d’ailleurs consciente de son assujettissement à la redevance qu’elle
a déclaré dans la sommation de payer du 22 août 2001 qu’elle réglerait la somme
correspondant aux échéances réclamées ; que c’est donc à tort que le premier
juge et la SONITEL ont soutenu que cette dernière n’est pas concernée par
l’obligation du paiement de la redevance… » ;
Attendu qu’aux termes de l’article 1er de l’ordonnance
93-027 du 30 mars 1993 portant sur le droit d’auteur, les droits voisins et les
expressions de folklore, notamment ses points V, XV et XVI : « La communication
d’une œuvre (y compris sa présentation, sa représentation ou exécution, ou sa
radiodiffusion) « au public » est le fait de rendre l’œuvre accessible au
public par des moyens autres que la distribution d’exemplaires. Tout procédé
qui est nécessaire pour rendre l’œuvre accessible au public, et qui le permet,
est une communication, et l’œuvre est considérée comme « communiquée » même si
personne dans le public auquel l’œuvre est destinée ne la reçoit, ne la voit ni
ne l’écoute effectivement » ;
« Le terme « public » signifie que les exemplaires de l’œuvre ont
été rendus accessibles au public avec le consentement de l’auteur, à condition
que, compte tenu de la nature de l’œuvre, le nombre de ces exemplaires publiés
ait été suffisant pour répondre aux besoins normaux du public. Une œuvre doit
être aussi considérée « publiée » si elle est mémorisée dans un système
d’ordinateur et rendue accessible au public par tout moyen de
récupération » ;
« La « reproduction » est la fabrication d’un ou plusieurs
exemplaires d’une œuvre ou d’une partie de celle-ci dans une forme matérielle
quelle qu’elle soit, y compris l’enregistrement sonore et visuel. La
fabrication d’un ou plusieurs exemplaires tridimensionnels d’une œuvre
bidimensionnelle et la fabrication d’un ou plusieurs exemplaires
bidimensionnels d’une œuvre tridimensionnelle ainsi que l’inclusion d’une œuvre
ou d’une partie de celle-ci dans un système d’ordinateur (soit dans l’unité de
mémorisation interne, soit dans une unité de mémorisation externe d’un
ordinateur) sont aussi une reproduction » ;
Attendu que pour sa part, l’article 1er de l’arrêté n°157/MCI/MCC du 14 octobre 1997 portant ordre tarifaire relatif au droit d’auteur, aux droits voisins et aux expressions du folklore, dispose que « Conformément aux dispositions de l’ordonnance 93-27 du 30 mars 1993 portant sur le droit d’auteur, les droits voisins et les expressions du folklore, celles de la loi 95-019 du 8 décembre 1995 portant création du Bureau nigérien du droit d’auteur (BNDA), établissement public à caractère professionnel et du décret 96-434/PCSN/MCC du 9 novembre 1996 portant approbation des statuts dudit Bureau, les tarifs suivants s’appliquent aux usagers ou clients, utilisateurs des œuvres littéraires et artistiques, des prestations des artistes interprètes ou exécutants, des phonogrammes, des émissions de radiodiffusion et de télévision, du folklore et des expressions du folklore :
Tarifs |
Genre d’utilisateur |
Clients |
Redevance |
B.8 |
Exécution publique |
Réseaux téléphoniques |
30.000 F par an et par réseau |
Que l’article 2 alinéa 7 du même arrêté quant à lui précise que «
Les tarifs « B » visent les exécutions publiques, notamment l’utilisation des
œuvres et des prestations dans les bars, les buvettes, les restaurants, les
night–clubs, l’organisation des concerts, de représentations théâtrales, etc.
La fixation de la redevance tiendra compte de certains paramètres, notamment le
lieu, la capacité de l’établissement, son chiffre d’affaires, etc. » ;
Attendu d’une part, qu’il ressort de ces dispositions, notamment
de l’article 1er de l’ordonnance 93-27 du 30 mars 1993, que la
représentation ou l’exécution publique d’une œuvre, qui ne peut être dissociée
de la communication avec laquelle elle partage le même contenu, loin de
s’arrêter à l’usage effectif, est réalisée par la seule capacité de la
structure considérée à rendre ladite œuvre accessible au public, par la
possession et la mise en œuvre d’un dispositif technique approprié ; que la
circonstance que personne ne l’a reçue, ne l’a vue ou ne l’a écoutée
effectivement importe peu ;
Que d’autre part, l’arrêt querellé a relevé et établi que la
SONITEL dispose de deux réseaux téléphoniques, comme elle l’a elle-même
reconnu, qui la classent dans le tarif B8 déterminé par l’article 1er
de l’arrêté n°157/MCI/MCC du 14 octobre 1997 précité ;
Que dès lors, en s’appuyant sur ces différents éléments pour
infirmer la décision du premier juge et décider que la SONITEL était astreinte
à la redevance en cause, sans qu’il soit besoin d’établir un usage effectif, la
juridiction d’appel, loin d’avoir violé les textes visés au moyen, en a fait au
contraire une juste interprétation et une saine application ;
D’où il suit que cette première branche de moyen n’est pas fondée
et doit être rejetée ;
Deuxième branche du moyen pris de l’insuffisance de motifs, en ce
que la SONITEL avait soutenu dans ses conclusions en cause d’appel que le seul
usage du mot « redevance » permet de conclure que l’usager n’est tenu au paiement
du service qu’après avoir concrètement bénéficié de celui-ci, en droit fiscal,
la redevance, contrairement à un impôt et aux taxes, étant toujours perçue
comme une prestation reçue par le contribuable. Le juge d’appel ne pouvait donc
pas, sans répondre à un tel argument, décider que le débat sur le point de
savoir si la SONITEL diffusait ou non des œuvres artistiques était inutile,
alors qu’une telle diffusion est le fait générateur de l’application de la
redevance ;
Attendu que pour la SONITEL, en statuant comme il l’a fait, le
juge d’appel n’a pas suffisamment motivé sa décision ;
Attendu que ce moyen est identique dans ses développements à celui
défendu par la demanderesse sous la première branche avec laquelle il partage
la même solution ; que pour décider que la redevance était due, les juges
d’appel se sont fondés sur l’article 1er de l’ordonnance 93-027 du
30 mars 1993 qui ne fait pas de l’usage effectif un critère de certitude et
d’exigibilité de la redevance, de même que sur l’article 1er de l’arrêté
n°157/MCI/MCC du 14 octobre 1997 qui vise expressément les réseaux
téléphoniques ; que ce faisant, ils ont suffisamment motivé et légalement
justifié leur décision ;
Attendu que la deuxième branche du moyen n’est elle aussi pas
fondée et ne peut être accueillie ;
Deuxième moyen de cassation tiré de la dénaturation des faits, en
ce que pour décider que la SONITEL est assujettie à la redevance et la
condamner corrélativement au paiement de dommages–intérêts pour résistance
abusive, le juge d’appel a retenu que « c’est d’ailleurs consciente de son
assujettissement à la redevance qu’elle a déclaré dans la sommation de payer du
22 août 2001 qu’elle réglerait la somme correspondant aux échéances réclamées
», alors même qu’à la lecture de ladite sommation, l’on se rend compte que,
contrairement aux énonciations du juge d’appel, la SONITEL n’a jamais reconnu
être assujettie à la redevance ;
Attendu que la demanderesse précise que dans sa réponse à la
sommation, elle a simplement indiqué qu’elle n’a que deux réseaux pour lesquels
elle « devrait éventuellement payer 180.000 F CFA », pour attirer l’attention
sur le fait que la créance n’est envisagée qu’en terme d’hypothèse et ce, dans
le but de faire remarquer au BNDA que même si sa créance était justifiée, elle
ne pouvait pas s’élever à 540.000.000 F CFA mais à 180.000 F CFA ;
Que pour elle, en faisant abstraction de l’adverbe «
éventuellement » qui souligne tout ce qu’il y a de plus hypothétique, et en
retenant que la SONITEL a reconnu devoir la redevance litigieuse, le juge
d’appel a nécessairement dénaturé les faits de la cause et exposé ainsi sa
décision à la censure ;
Attendu qu’en retenant que « c’est d’ailleurs consciente de son
assujettissement à la redevance qu’elle a déclaré dans la sommation de payer du
22 août 2001 qu’elle réglerait la somme correspondant aux échéances réclamées
», les juges d’appel n’ont rien imputé à la SONITEL mais se sont arrêtés à
tirer des conclusions, qui leur sont propres, relativement à la réponse de la
SONITEL à la sommation de payer du 22 août 2001, réponse dont le texte n’a subi
aucune modification ni dans les mots ni dans le temps utilisé ; que ce faisant,
ils n’ont en rien dénaturé les faits de la cause, quand bien même ils n’ont pas
repris l’adverbe « éventuellement », dès lors qu’ils ont utilisé le
conditionnel qui renvoie nécessairement à une éventualité ;
D’où il suit que le deuxième moyen n’est lui aussi pas fondé et
doit être rejeté ;
Attendu qu’il y a lieu en conséquence de recevoir en la forme le
pourvoi de la SONITEL, au fond le rejeter comme étant mal fondé et condamner la
SONITEL aux dépens, celle-ci ayant perdu l’instance ;
PAR CES MOTIFS
Déclare le pourvoi de SONITEL recevable en la forme ;
Au fond, le rejette ;
Condamne SONITEL aux dépens.