Tribunal de Commerce d’Abidjan
Jugement Contradictoire du 12 juin 2014, RG N°1001/14
SENI BAMOGO
c/
AERIA
Le Tribunal,
Par exploit d’huissier en date du 07 avril 2014, Monsieur SENI
Bamogo a assigné l’Aéroport International d’Abidjan dénommé AERIA à comparaître
devant le Tribunal de Commerce de ce siège le 15 avril 2014 pour entendre :
- dire et juger que la
société AERIA a commis un acte de contrefaçon sur sa toile intitulée « l’avenir
d’un enfant » en la reproduisant et en la représentant sans l’autorisation
écrite de l’auteur de l’œuvre pour illustrer ses cartes de vœux de l’année 2010
;
- condamner par conséquent
la société AERIA à lui payer la somme de cinquante millions (50.000.000) de
francs CFA pour l’exploitation illicite de ses droits patrimoniaux de
reproduction et de représentation du fait de la contrefaçon de son œuvre
artistique et celle de quarante millions (40.000.000) de francs CFA au titre de
dommages-intérêts pour toutes causes de préjudices confondues ;
- assortir le jugement à venir
de l’exécution provisoire de l’article 146-4 du code de procédure civile
nonobstant toutes voies de recours ;
- ordonner l’insertion de la
décision à venir dans quatre (04) journaux aux frais de la société AERIA ;
-condamner la société AERIA
aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître ALLA Afféli, Avocat aux
offres de droit ;
A l’appui de son action, il expose qu’il est artiste plasticien,
formé au Centre de Peinture Artistique d’Abengourou (CPA) et au Conservatoire
des Arts et Métiers d’Abengourou (CAMA) qui sont des établissements de
référence en matière de formation en arts plastiques en Côte d’Ivoire ;
Qu’il expose ses créations originales depuis des années dans les galeries
du District d’Abidjan, ce qui lui a permis de se faire une réputation dans le
milieu du vernissage des œuvres d’art ;
Qu’en 2009, sa peinture intitulée « l’avenir d’un enfant »
réalisée au moyen de la technique dite de l’acrylique sur toile a été acquise
par la Galerie d’art Houkami Guyzgn qui l’expose par la suite dans ses locaux
de vernissage ;
Que cette œuvre a servi de tableau d’illustration pour les cartes
de vœux 2010 que la société AERIA a publié pour présenter ses vœux de Bonne et
Heureuse Année aux usagers de l’Aéroport International d’Abidjan ;
Que la société AERIA a reproduit intégralement son œuvre
artistique de manière massive sous forme de cartes de vœux pour l’année 2010 et
elle l’a communiquée au public sans solliciter l’autorisation nécessaire et
préalable du titulaire des droits de propriété intellectuelle sur le tableau ;
Qu’à l’occasion de cette opération de marketing, la société AERIA
a associé son image à sa création auprès du grand public national et
international sans prendre au préalable le soin de requérir l’accord du
titulaire de l’œuvre artistique ;
Qu’en tant qu’auteur de l’œuvre littéraire ou artistique, il
dispose du droit exclusif d’interdire la reproduction ou la représentation de
sa création et le titulaire de droits peut, à ce titre, agir en justice contre
quiconque porte atteinte à ses prérogatives ;
Qu’il y a contrefaçon dès lors que l’œuvre originale ou ses
éléments caractéristiques sont repris par un tiers sans une autorisation
formelle de son auteur ;
Que la contrefaçon correspond à la violation du droit de propriété
littéraire ou artistique de l’auteur d’une œuvre originale, et cette atteinte
des droits de propriété intellectuelle ouvre droit à une réparation pour le
titulaire de droits et au paiement de dommages-intérêts par le contrefacteur.
Il estime avoir subi du fait de la société AERIA un préjudice en
termes d’atteinte à ses droits patrimoniaux relatifs à l’exploitation de son
œuvre pour la réparation duquel il sollicite la somme de cinquante millions
(50.000.000) de francs CFA à titre de dommages-intérêts ; ainsi qu’une perte financière
en termes de privation en gain futur lié à une exploitation du même genre qu’il
évalue à la somme de quarante millions (40.000.000) de francs CFA, dont il
sollicite la condamnation de la société AERIA au paiement.
Celle-ci résiste à cette demande. Elle sollicite sa mise hors de
cause en ce que l’acte incriminé a été accompli par Monsieur Simplice De Messe
ZINSOU à titre personnel et non en qualité de Président du Conseil
d’Administration de la société AERIA et que l’acquisition et l’exploitation de
l’œuvre par celui-ci n’entre pas dans son objet social.
Elle ajoute que la reproduction faite par Monsieur ZINSOU est
licite car les annexes de l’accord de Bangui relatif à l’OAPI autorisent
l’exploitation pour un usage privé sans l’autorisation formelle et écrite de
l’auteur de l’œuvre.
Quant aux dommages-intérêts sollicités, elle fait valoir que
Monsieur SENI Bamogo ne les justifie point de sorte que sa demande doit être
rejetée ; Le même sort devant être réservé à sa demande tendant à l’exécution
provisoire de la décision à intervenir.
SUR CE
EN LA FORME
Sur le caractère de la décision
La défenderesse ayant conclu, il y a lieu de statuer par décision
contradictoire.
Sur la recevabilité de l’action
L’action initiée par Monsieur SENI Bamogo est régulière. Elle est
donc recevable.
AU FOND
Sur la licéité de la reproduction de l’œuvre de Monsieur SENI
Bamogo
Celui-ci prétend que la reproduction de son œuvre par Monsieur
Simplice De Messe Zinsou sous la forme de carte de vœux sans son autorisation
ainsi que l’exige l’article 27 de la Loi N°96-564 du 25 juillet 1996 relative à
la protection des œuvres de l’esprit est illicite et porte atteinte à ses
droits d’auteur. La défenderesse considère qu’il n’en est rien et que l’accord
de Bangui, texte supra national autorise une reproduction à usage privé de
l’œuvre artistique ou littéraire sans l’autorisation de son auteur.
Les parties s’affrontent sur le texte applicable en l’espèce. Le
tribunal considère que cette question est de peu d’intérêt pour la solution du
litige parce qu’aussi bien dans l’accord de Bangui que dans la loi nationale du
25 juillet 1996 susmentionnée, une exception au droit d’auteur est prévue sous
la forme de reproduction licite destinée à un usage privé c’est-à-dire
personnelle et non collectif.
En l’espèce, il est constant que Monsieur Simplice De Messe Zinsou
a reproduit l’œuvre du demandeur sous la forme de cartes de vœux sur lesquelles
il est inscrit « Monsieur Simplice DE MESSE ZINSOU, Président de l’Aéroport
International Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan et ses collaborateurs vous
souhaitent une Bonne et Heureuse année 2010 » et distribuées, comme toutes les
cartes de vœux, aux personnes en relation avec Monsieur Simplice De Messe
Zinsou et la société AERIA. Une telle reproduction va bien au-delà de la copie
privée parce qu’il s’agit d’un usage collectif, l’œuvre étant ainsi envoyée,
par le biais des cartes de vœux, à d’autres personnes que Monsieur Simplice De
Messe Zinsou.
Le fait que celui-ci ait indiqué l’origine et l’auteur de l’œuvre
ne peut servir de paravent dans la mesure où il est constant que l’auteur de
l’œuvre ne lui a pas donné son autorisation pour une telle utilisation
collective.
Il y a lieu donc de dire que la reproduction faite par Monsieur
Simplice De Messe Zinsou est illicite et appelle réparation au profit de
l’auteur de l’œuvre.
Sur la mise hors de cause de la société AERIA
Elle est sollicitée par celle-ci au motif qu’elle ne peut être
engagée par l’acte de Monsieur Simplice De Messe Zinsou car bien que celui-ci
exerçait les fonctions de Président de conseil d’administration, son acte
n’entre pas dans l’objet social de la société AERIA et s’en détache totalement.
Aux termes de l’article 122 de l’ancien acte uniforme relatif au
droit des sociétés commerciales et du GIE en vigueur au moment des faits : « La
société est engagée par les actes des organes de gestion, de direction et
d’administration qui ne relèvent pas de l’objet social, à moins qu’elle ne
prouve que le tiers savait que l’acte dépassait cet objet ou qu’il ne pouvait
l’ignorer compte tenu des circonstances, sans que la seule publication des
statuts suffise à constituer cette preuve ».
Tel que conçu, l’application des exceptions de ce texte suppose
que le tiers soit entré en commerce juridique avec la société ou ses dirigeants
relativement à l’acte en cause. En l’espèce, il est constant que la
reproduction de l’œuvre par Monsieur Simplice De Messe Zinsou s’est faite sans
l’autorisation de l’auteur, qui n’est donc pas entré en commerce juridique avec
lui à cet égard. Il ne peut donc valablement lui être opposé que l’acte
dépassait l’objet social et s’en détachait, encore que ce qui est exigé par
l’acte uniforme est que la preuve soit rapportée que le tiers savait que l’acte
dépassait l’objet social et s’en détachait, ou ne pouvait, compte tenu des
circonstances, l’ignorer ; ce qui, même si cela avait été prouvé, ne saurait
entrainer la mise hors de cause de la société AERIA, le tribunal rappelant que
le commerce n’a pas été initié par le demandeur avec Monsieur Simplice De Messe
Zinsou pour la reproduction de son œuvre. Et comme l’acte incriminé a été
accompli, ainsi qu’il résulte des inscriptions sur les cartes de vœux, par
Monsieur Simplice De Messe Zinsou en sa qualité de Président du Conseil
d’administration de la société AERIA et ses collaborateurs, la mise hors de
cause de cette société ne peut être ordonnée. Il y a lieu de rejeter la demande
de la société AERIA.
Sur la réparation
Le demandeur sollicite la somme totale de quatre-vingt-dix
millions en réparation du préjudice qu’il a subi du fait de la reproduction
illicite de son œuvre. Cette demande qui se justifie en l’espèce, est cependant
excessive dans son montant. Le tribunal trouve dans les circonstances de la
cause et les pièces du dossier des éléments suffisants pour la ramener à un
montant raisonnable, soit à la somme de dix millions (10.000.000) de francs
CFA, au paiement de laquelle il condamne la société AERIA.
Sur la publication de la décision
En matière de propriété littéraire et artistique, elle se
justifie, atteinte en l’espèce ayant été portée illicitement au droit d’auteur
qui fait partie des droits de la personnalité. Il y a lieu de l’ordonner, en la
limitant à un seul journal, à savoir le quotidien FRATERNITE MATIN, aux frais
de la société AERIA.
Sur l’exécution provisoire
Monsieur SENI Bamogo la demande sur le fondement de l’article
146-4 du code de procédure civile, commerciale et administrative qui vise les
cas d’extrême urgence. Toutefois, il ne prouve pas pourquoi cette grande hâte
doit être observée. C’est pourquoi, le tribunal rejette sa demande.
Sur les dépens
La société AERIA succombant, elle doit supporter les dépens.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort ;
Constate la non-conciliation des parties ;
Reçoit Monsieur SENI Bamogo en sa demande ;
Dit Monsieur SENI Bamogo partiellement fondé en son action ;
Condamne la société AERIA à lui payer la somme de dix millions
(10.000.000) de francs CFA à titre de dommages-intérêts ;
Ordonne la publication du présent jugement dans le quotidien
FRATERNITE MATIN aux frais de la société AERIA ;
Déboute Monsieur SENI Bamogo du surplus de sa demande ;
Condamne la société AERIA aux dépens.