Tribunal de Grande Instance du Wouri (Douala)
Jugement civil N°382/Com du 23 décembre 2013
SOCIETE MARINE MAGISTRALE S.A
c/
Sieur KAMGA NENKAM Jean Paul
Le Tribunal,
Vu la loi n°2006/015 du 29 décembre 2006 portant Organisation
judiciaire du Cameroun, modifiée et complétée par la loi n°2011/027 du 14
décembre 2011 ;
Vu l’Annexe III de l’Accord de Bangui ;
Vu les pièces du dossier de la procédure ;
Attendu que suivant exploit du 28 mars 2013, du ministère de
Maître EMBOLO René, Huissier de Justice à Douala, enregistré comme acte
extra-judiciaire du 03 avril 2013 à la Régie des recettes, enregistrement près
la Cour d’Appel du Littoral sous le numéro 503, aux volumes 004 et folio 226,
contre la quittance n°17912934, la société MARINE MAGISTRALE en abrégé 2M
Société Anonyme dont le siège social est à Douala, ayant pour conseil Maître
SIKATI Désiré, Avocat au Barreau du Cameroun, a fait donner assignation au
sieur KAMGA NENKAM lequel a élu domicile au Cabinet de Maître FOUDA Joël
Thomas, Avocat à Douala, d’avoir à comparaître par devant le Tribunal de Grande
Instance du Wouri, statuant en matière commerciale pour, est-il dit dans ledit
exploit :
- Annuler l’attribution de la marque n°66841 du 29 juillet 2011 au
profit de sieur KAMGA NENKAM Jean Paul ;
- Ordonner le transfert au profit de la société MARINE MAGISTRALE,
de la marque n°66841 du 29 juillet 2011, enregistrée au profit de sieur KAMGA
NENKAM Jean Paul suivant arrêté n°11/11812/OAPI/DG/DGA/DPI/SSD du Directeur
Général de l’OAPI ;
- Dire qu’il sera procédé par l’OAPI aux inscriptions
rectificatives nécessaires, notamment au registre spécial des marques et au
Bulletin Officiel de la Propriété intellectuelle (BOPI) ;
- Condamner sieur KAMGA NENKAM Jean Paul aux entiers dépens dont
distraction au profit de Maître Désiré SIKATI, Avocat aux offres de
droit ;
Que suivant un autre exploit du 31 mai 2013 du même huissier de
justice, la société 2M SA a fait réassigner le défendeur ;
Attendu qu’au soutien de son action, la demanderesse expose
qu’elle est spécialisée dans les services de consignation et manutention
portuaires, transit, logistique entreposage et transport de marchandises ;
Que sieur KAMGA NENKAM a été nommé Directeur Général de ladite
société et percevait dès lors un salaire mensuel de 1.600.000 francs ;
Que ce dernier a occupé ses fonctions jusqu’au 22 février 2012,
date de sa désinvestiture à l’issue d’une nouvelle résolution du conseil
d’administration, motif pris de ce qu’il a commis des fautes de gestion,
notamment le détournement de la marque n°66841, enregistrée frauduleusement à
son profit auprès de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle
(OAPI) ;
Que dans le cadre de ses activités, la société 2M SA a créé un
système de manutention portuaire ultra moderne dénommé « Harbour Handing
With Big Bags » en abrégé H2B2 SYSTEM, mais sieur KAMGA alors chargé de
déposer pour le compte de son employeur la marque dont s’agit à l’OAPI pour
enregistrement, a plutôt sollicité en son nom l’enregistrement de ladite
marque ;
Que suivant arrêté n°11/1812/OAPI/DGA/DPI/SSI/SSD du 29 juillet
2011 le Directeur Général de l’OAPI a enregistré la marque querellée sous le
n°66841 au profit de sieur KAMGA NENKAM d’où la présente action en
revendication de marque ;
Qu’elle ajoute que cette action initiée tire son fondement dans
l’article 47 de l’Annexe III de l’Accord de Bangui qui dispose que « les
actions civiles relatives aux marques sont portées devant les tribunaux civils
et jugées comme matières sommaires » ;
Qu’il y a lieu d’ordonner au profit de la Marine Magistrale le
transfert de la marque en cause, ce d’autant que les agissements de KAMGA
NENKAM violent l’article 31 du code du travail, et constituent des actes de
concurrence déloyale ;
Que la demande d’enregistrement de la marque adressée à l’OAPI
concerne les produits de la classe 39 à savoir les services de manutention
portuaire, d’entreposage de marchandises, de transport de marchandises offerts
par la Marine Magistrale ;
Que par ailleurs, les frais d’enregistrement de la marque H2B2 ont
été entièrement supportés par la société Marine Magistrale tel qu’il ressort du
rapport d’étape sur le financement du H2B2 SYSTEM ;
Qu’il conclut que sieur KAMGA NENKAM a fait enregistrer
frauduleusement en son nom la marque litigieuse ce d’autant que celle-ci a été
totalement conçue par les employés de la société Marine Magistrale ;
Que selon la jurisprudence de la propriété intellectuelle,
l’enregistrement ne confère des droits que dans la mesure où il n’est pas
effectué frauduleusement, notamment dans le but de l’opposer à un tiers et un
dépôt d’une marque est frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention de
priver autrui d’un signe nécessaire à son activité, ce dépôt est caractérisé
par le fait qu’une personne sachant qu’un tiers utilise une marque sans l’avoir
protégée, la dépose à son nom dans le dessein de l’opposer éventuellement à son
usager antérieur (Paris 12 septembre 1997, PIBD 1998, III P. 54 ; COM 25
avril 2066 Roncato, Bull Civ n°0265 PIBD 2007, III Paris 12 novembre 2003
« allez les bleus » PIBD 2004) ;
Qu’il s’en suit que l’enregistrement effectué au nom de KAMGA
NENKAM Jean Paul doit être annulé au motif que celui-ci s’est servi des fonds
de la société pour enregistrer à son profit une marque appartenant à son
employeur ;
Attendu que pour faire échec à l’action de la demanderesse, sieur
KAMGA NENKAM, par le biais de son conseil susnommé a d’une part évoqué une fin
de non-recevoir tirée de la prescription et le statut de mandataire social de
KAMGA NENKAM et d’autre part du caractère non fondé de la présente
action ;
Qu’il soutient que l’action de la demanderesse est couverte par la
prescription en ce que l’action en revendication de la marque devant l’OAPI
doit être intentée dans un délai de six mois à compter de la publication de la
délivrance du titre ;
Que le certificat d’enregistrement de la marque ayant été délivré
le 29 juillet 2011 puis publié le 09 décembre 2011, la société Marine
Magistrale avait jusqu’au 09 juin 2012 pour revendiquer la propriété de la
marque H2B2 à l’OAPI en déposant en son nom et en rapportant la preuve de son
usage à celui du déposant KAMGA NENKAM comme le prévoit l’Annexe III de
l’Accord de Bangui ;
Que n’ayant pas saisi l’OAPI dans le délai dont s’agit, l’action
de la demanderesse est non fondée en droit des marques ;
Qu’il relève que la société Marine Magistrale ne produit ni un
titre de propriété industrielle sur l’invention du nouveau système de
manutention portuaire utilisant des gros sacs en housses et l’ensemble de
l’appareillage entrant dans le procédé protégé, ni la propriété industrielle
sur la marque des services y relatifs alors même que KAMGA NENKAM dispose de
trois titres de propriété à savoir un certificat de modèle d’utilité délivré
par l’OAPI et dont les droits remontent au 21 octobre 2004, un brevet
d’invention n°14130 dont les droits remontent au 19 février 2008, une marque
H2B2 SYSTEM enregistrée à l’OAPI sous le n°668412011 ;
Qu’il fait observer que c’est à tort que la société Marine
Magistrale revendique la propriété de la marque dès lors qu’aux termes des
alinéas 1 et 2 de l’article 5 de l’Annexe III de l’Accord de Bangui, « la
propriété de la marque appartient à celui qui le premier en a effectué le
dépôt » ;
Qu’au demeurant, sieur KAMGA n’est point un employé de la société
Marine Magistrale au sens du code du travail, mais plutôt un mandataire social
à qui le droit des marques n’interdit pas d’avoir une marque en son nom ;
Attendu qu’en réaction à ces développements, le conseil de la
société Marine Magistrale a expliqué que l’Annexe III de l’Accord de Bangui
n’ayant prévu aucune prescription de l’action en revendication des marques des
produits ou services, il y a lieu de se référer au droit commun des affaires et
notamment à l’article 16 de l’Acte Uniforme portant droit commercial
général ;
Que la marque H2B2 a été publiée le 09 décembre 2011 au Bulletin
Officiel de la Propriété Intellectuelle de l’OAPI et la société Marine
Magistrale a saisi le tribunal le 28 mars 2013 et partant, son action n’est pas
couverte par la prescription ;
Que s’agissant du statut juridique de sieur KAMGA NENKAM, les
fonctions de mandataire sont compatibles avec le statut de salarié, de ce fait
la jurisprudence reconnait que le contrat de travail consenti par une société
mère à un salarié en vue d’exercer les fonctions de Directeur Général d’une
filiale est valable (Cass. Soc., 02 octobre 1991, JCP éd E, 1992) ;
Attendu que toutes les parties ont comparu, conclu, répliqué et
plaidé par leurs conseils respectifs susnommés ;
Qu’il convient de statuer contradictoirement à leur égard ;
I/ Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription
Attendu qu’il appert des pièces du dossier, que sieur KAMGA NENKAM
est attrait devant le Tribunal, motif pris de l’enregistrement en son nom de la
marque H2B2 appartenant à la société Marine Magistrale ;
Que cette action en revendication de la marque est fondée sur
l’article 47 alinéa 1er du texte susmentionné, et non sur l’article
18 de l’Annexe III de l’Accord de Bangui révisé, lequel impartit un délai de
six mois pour faire opposition à l’enregistrement d’une marque ;
Que l’Annexe n’ayant fixé aucun délai pour saisir le tribunal
civil, le délai de l’article 18 alinéa 1 n’est pas opposable à la demanderesse
et qu’il y a en conséquence lieu de rejeter la fin de non-recevoir tirée de la
prescription invoquée par le défendeur comme non fondée ;
II/ Sur la qualité de sieur KAMGA NENKAM
Attendu que le défendeur fait valoir qu’il n’est pas un employé de
la société Marine Magistrale au sens du code du travail mais plutôt un
mandataire social qui n’avait aucune mission de création de marques pour le
compte de ses mandants ;
Attendu que le contrat de travail suppose pour l’employé de mettre
au service de l’employeur son activité professionnelle et pour l’employeur le
paiement d’un salaire ;
Qu’en l’espèce, il est constant que sieur KAMGA NENKAM a été
régulièrement nommé Directeur Général de la société par une résolution
n°003-01/CA du 13 juillet 1995 ;
Que conséquemment, il percevait un salaire déterminé par la
décision n°007/07/PCA/2M du 08 décembre 1997 fixant ses conditions de
rémunération ;
Que de nombreux bulletins de paie et de lettres d’avances sur
salaire ont été produits au dossier et prouvent à suffire le lien de
subordination qui existait entre KAMGA NENKAM jean Pierre et 2M SA ;
Qu’il y a ainsi lieu de conclure que ce dernier était lié à la
demanderesse par un contrat de travail et de rejeter comme spécieux l’argument
tiré de la qualité de mandataire social ;
III/ Sur la revendication de la marque H2B2
Attendu que pour faire asseoir le bien-fondé de son action, la
demanderesse expose que sieur KAMGA NENKAM, ex Directeur Général de la société
Marine Magistrale a de son propre chef et de manière frauduleuse fait
enregistrer en son nom la marque qui lui revient en toute propriété et ce en
utilisant l’argent de la société ;
Que pour battre en brèche ces prétentions, le défendeur explique
que la société Marine Magistrale ne saurait revendiquer la marque dont s’agit
dans la mesure où il n’a pas préalablement déposé cette marque à l’OAPI ;
Mais attendu qu’aux termes de l’article 24 alinéa 2 de l’Annexe
III de l’Accord du 24 février 1999 portant révision de l’Accord de Bangui du 02
mars 1977 instituant une Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle
(OAPI) « Le Tribunal déclare nul et non avenu l’enregistrement d’une
marque, au cas où cette dernière n’est pas conforme aux dispositions des
articles 2 et 3 de la présente annexe, ou est en conflit avec un droit
antérieur » ;
Qu’en l’espèce il demeure incontesté que sieur KAMGA NENKAM était
employé à la société Marine Magistrale en qualité de Directeur Général du 13
juillet 1995 au 22 février 2012 ;
Que sa nomination au poste de Directeur Général et le salaire
perçu induisant un contrat de travail, sieur KAMGA NENKAM avait pour obligation
de mettre au service de son employeur son activité professionnelle et pouvait
inventer des marques au profit de celui-ci ;
Que s’il est vrai que l’existence d’un contrat de travail
n’empêche pas à un employé d’utiliser à son profit son génie créateur en créant
un système de fonctionnement d’un mécanisme en marge de la société dans
laquelle il est employé et obtenir de ce fait la propriété d’une marque ou d’un
brevet d’invention en son nom, il demeure tout autant constant que l’employé
doit démontrer dans ce cas le procédé personnel utilisé ;
Qu’il ressort par contre des pièces versées au dossier que la
marque a été enregistrée à l’OAPI sous le numéro 66841 en classe 16, que les
frais d’enregistrement ont été supportés par la société 2M SA, et le défendeur
a adressé diverses correspondances à des personnes différentes, relativement à
la présentation et la promotion du système de manutention portuaire H2B2, dans
lesquelles il a lui-même affirmé que le nouveau système est une création de la
demanderesse ;
Que par ailleurs l’enregistrement querellé porte sur les produits
offerts par la société et qu’il est de jurisprudence que doit être considéré
comme frauduleux le fait pour une personne, sachant qu’un tiers utilise une
marque sans l’avoir protégée, la dépose en son nom, dans le dessein de
l’opposer éventuellement à son usager antérieur ;
Qu’il est établi qu’au moment où le défendeur faisait enregistrer
en son nom la marque litigieuse, celle-ci était utilisée par la société 2M SA
depuis au moins 10 ans ;
Que surabondamment, les pièces de la procédure montrent que
l’invention de la marque est l’œuvre commune de plusieurs employés de 2M SA, et
non, comme le prétend KAMGA NENKAM, son œuvre personnelle ;
Qu’ainsi même l’argument tiré du non dépôt par 2M de la marque
litigieuse ne saurait prospérer ;
Qu’il s’ensuit que l’action en revendication de la société Marine
Magistrale est fondée et qu’il échet d’y faire droit ;
Attendu que conformément aux articles 50 et 52 du Code de
Procédure Civile et Commerciale, il y a lieu de mettre les dépens à la charge
du défendeur ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard des parties,
en matière commerciale, en premier ressort, après en avoir délibéré
conformément ;
Rejette comme non fondées les fins de non-recevoir tirées de la
prescription et de la qualité de sieur KAMGA NENKAM Jean-Paul ;
Reçoit la Société MARINE MAGISTRALE en abrégé 2M SA en son
action
L’y dit fondée ;
Constate que les parties étaient liées par un contrat de travail
et que l’enregistrement de la marque H2B2 SYSTEM a été fait aux frais de
l’employeur ;
Annule par conséquent l’attribution de la marque n°66841 enregistrée
le 29 juillet 2011 au profit de sieur KAMGA NENKAM Jean Paul suivant
arrêté n°11/1812/OAPI/DG/DGA/DBI/SID du Directeur Général de l’OAPI ;
Ordonne le transfert au profit de la Société MARINE MAGISTRALE en
abrégé 2M SA de ladite marque ;
Dit qu’il sera procédé par l’Organisation Africaine de la
Propriété Intellectuelle (OAPI) aux rectifications et inscriptions y relatives
nécessaires, notamment au registre des marques et au Bulletin Officiel de la
Propriété Intellectuelle (BOPI) ;
Condamne sieur KAMGA NENKAM Jean Paul aux dépens distraits au
profit de Maîtres SIKATI Désiré, TCHUENTE, NKENGNI, Avocats aux offres de
droit.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique les mêmes jour,
mois et an que ci-dessus ;
- En foi de quoi la minute du présent jugement a été signée par le
Président qui l’a rendu et le Greffier audiencier.