Cour d’Appel de Lomé
Arrêt N°70/15 du 04 Mars 2015
GNANHOUE NAZAIRE
c/
ÉTABLISSEMENTS SOLA
La Cour,
Attendu que suivant exploit en date à Lomé du 15 Février 2010, de
Maître TOUSSAH, huissier de justice, le sieur GNANHOUE Nazaire, commerçant,
demeurant et domicilié à Cotonou, assisté de Maître DZOKA Essiamé Koko, Avocate
à la Cour de Lomé, a interjeté appel du jugement N°3503/09 rendu le 13 Novembre
2009 par le Tribunal de Lomé dans le litige qui l’oppose aux Établissements
SOLA, ayant leur siège social à Lomé, rue Guillemard, pris en la personne de
leur gérante dame AGBOKOU Solange, demeurant et domiciliée audit siège,
assistée de Maître ALI Badjouma, avocate à la Cour de Lomé ;
Attendu que cet appel a été interjeté dans les forme et délai
légaux ; qu’il échet de la déclarer recevable ;
Attendu qu’au soutien de son appel, le sieur GNANHOUE Nazaire, par
le canal de son conseil Maître DZOKA, expose que par exploit d’huissier en date
du 27 Janvier 2009, il a fait donner assignation aux intimés et à Maître AMEGBO
Ablamvi, huissier de justice, d’avoir à comparaître par devant le Tribunal de
Lomé pour s’entendre entre autres, constater des manquements graves de leur
part dans la procédure de saisie description et contrefaçon du 02 Janvier 2009
au regard des dispositions de l’article 49 de l’Annexe III de l’accord relatif
à la création de l’OAPI, dire et juger que leur responsabilité est engagée et
en conséquence les voir condamner à lui servir la somme de cent millions à
titre de dommages-intérêts ; que par le jugement attaqué, il a été débouté de
ses demandes, et le Tribunal de Lomé a prononcé la nullité de la marque
« COOKZEN » enregistrée en son nom le 30 Juin 2008 et l’a en outre
condamné à servir aux intimés la somme de cinquante millions à titre de
dommages-intérêts pour procédure abusive et frais irrépétibles ; que pour
statuer comme il l’a fait, le Tribunal a estimé qu’il résulte des éléments de
la cause que c’est en vue de faire constater les irrégularités sus évoquées que
l’appelant avait saisi le juge des référés le 14 Janvier 2009 en vue de
s’entendre prononcer la nullité des saisies et pour que mainlevée en soit
donnée ; que le Tribunal a aussi estimé qu’une mainlevée ne dessaisit pas le
juge en ce qui concerne les irrégularités énoncées et qu’une nullité même de
plein droit être constatée par le juge de sorte qu’en l’espèce, en l’absence de
toute décision constatant cette nullité, l’appelant n’est pas recevable à s’en
prévaloir ;
Attendu que le conseil de l’appelant poursuit et déclare, après
avoir rappelé in extenso les motifs du jugement querellé, que cette décision
viole les articles 38 et 39 du Code de Procédure Civile ; qu’au regard de ces
textes, l’objet du litige est déterminé par les prétentions des parties telles
qu’il ressort de l’acte introductif d’instance et par les observations et
conclusions en défense ; que l’instance est enfermée dans le cadre tracé par
les parties ; que le juge ne peut pas modifier l’objet du litige sans voir sa
décision sanctionnée ; qu’il a été demandé au premier juge de constater les
manquements graves des intimés dans la saisie par eux pratiquée au regard de
l’article 49 de l’Annexe III de l’Accord de Bangui, ce qui ouvre la voie à des
dommages-intérêts à l’intimé ; que conscients du bien-fondé de sa demande, les
Établissements SOLA ont donné mainlevée volontaire de leur saisie et ont repris
la procédure ; or les saisies par eux pratiquées ont été faites en
violation de la loi, ce qui donne droit à des dommages-intérêts à son profit ;
que la question qui se posait au juge était de savoir si les conditions de
l’article 49 de l’Annexe III de l’Accord de Bangui étaient remplies au moment
de la saisie litigieuse ; qu’au lieu de répondre à cette question, le premier
juge a plutôt déplacé le débat sur la question de la propriété de la marque,
que ce juge a donc violé le principe de l’indisponibilité de l’objet du litige
et a statué ultra petita ; que la décision ci-contre déférée est
incompréhensible dans la mesure où le juge a lui-même constaté qu’aux termes de
l’article 5 point 1 de 1’ Annexe III précité, la marque appartient à celui qui
l’a déposée en premier ; qu’il s’agit d’un principe d’ordre public auquel ni
les parties, ni le juge ne peut déroger ; que mieux, le premier juge ne saurait
allouer aux intimés un quelconque dommages-intérêts au titre de quelque
préjudice que ce soit puisque la marque subrepticement enregistrée par les
intimés a été radiée par l’OAPI à la demande du véritable propriétaire de la
marque ; qu’il en infère donc que le jugement entrepris doit être infirmé ; que
statuant à nouveau, la Cour de céans doit décharger l’appelant des
condamnations à des dommages-intérêts qui avaient été prononcées contre lui et
lui adjuger l’entier bénéfice de ses prétentions contenues dans l’acte
introductif d’instance du 27 Janvier 2009 ;
Attendu qu’en réponse à la requête d’appel ci-dessus exposée,
Maître ALI Badjouma conseil des intimés soutient dans ses conclusions en date
du 02 Décembre 2011 que c’est à tort que l’appelant sollicite l’infirmation du
jugement attaqué ; que c’est à bon droit qu’après avoir constaté qu’aucune
décision n’a annulé la saisie litigieuse dont mainlevée a été volontairement
donnée, et au vu de l’antériorité de la marque des intimés par rapport à celle
de l’appelant, couplée avec la mauvaise foi de ce dernier, la condamner à des
dommages-intérêts ; qu’en réalité, à la suite d’une saisie-contrefaçon
pratiquée les 26 et 29 Décembre 2008 puis le 02 janvier 2009 par exploits de
Maître AMEGBO Ablamvi, huissier de justice, les Établissements SOLA ont
volontairement donné mainlevée de ces saisies pour en refaire d’autres ; que
curieusement l’appelant a assigné ceux-ci par devant le Tribunal de Lomé pour
voir constater les irrégularités entachant les saisies qui n’existent plus et
les condamner à des dommages-intérêts au titre des préjudices subis ; que
devant le premier juge, les intimés ont démontré que l’appelant ne pouvait pas
prétendre avoir subi un quelconque préjudice parce qu’il a contrefait la marque
des intimés ; que reconventionnellement, ils ont sollicité au regard de la date
de dépôt des deux marques à I’OAPI, l’annulation de la marque de l’appelant
ainsi que sa condamnation à des dommages-intérêts pour préjudices économique,
financier et moral subis du fait de ce comportement peu scrupuleux et
frauduleux ; que le premier juge a fait droit à leur demande ; que contre cette
décision, le sieur GNANHOUE Nazaire relève appel et invoque la radiation de la
marque des intimés ; que le principe du contradictoire est un principe
sacro-saint qui oblige le juge à statuer sur les demandes principales des
parties mais aussi sur les demandes reconventionnelles tel qu’il ressort de
l’article 50 du Code de Procédure Civile ; que les intimés ont démontré par
devant la juridiction d’instance la mauvaise foi de l’appelant qui ne peut donc
pas se réfugier derrière la radiation de leur marque pour se soustraire à sa
responsabilité de contrefacteur ; que d’ailleurs la Commission Supérieure de
Recours de l’OAPI a déjà eu à se prononcer en ce sens dans sa décision rendue
dans le cadre du litige qui a opposé les parties par devant cette commission,
que contrairement aux prétentions de l’appelant, le Tribunal n’a pas violé les
articles 38 et 39 du Code de Procédure Civile ; que de l’analyse de ces textes,
il ressort qu’en l’espèce, le premier juge n’a fait que répondre aux demandes
reconventionnelles des intimés ; que de tout ce qui suit, il échet de confirmer
simplement le jugement entrepris ;
Sur la violation du principe de l’immutabilité du cadre du procès
Attendu que l’article 38 du Code de Procédure Civile dispose que :
« L’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque
celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant »
qu’aux termes des dispositions de l’article 39 du même code, « le juge doit
se prononcer sur ce qui lui est demandé et seulement sur ce qui est demandé »
;
Attendu qu’en l’espèce, la demande initiale de l’appelant tendait
à faire constater les irrégularités entachant la saisie-contrefaçon pratiquée
et à condamner celui-ci à des dommages-intérêts conformément aux dispositions
de l’article 49 de l’Annexe III de Bangui ; qu’il ressort en effet du jugement
entrepris que l’intimé a conclu au rejet de cette demande en y opposant le fait
qu’il a été le premier à avoir fait enregistrer la marque en cause ; que le
premier juge en a déduit que « le véritable problème juridique qui se pose est
celui de la propriété de la COOKZEN » ;
Attendu cependant qu’en vertu des dispositions de l’article 48 de
l’Annexe III de l’Accord de Bangui, le droit de procéder à la
saisie-contrefaçon n’est ouvert qu’au « propriétaire d’une marque ou au
titulaire d’un droit exclusif » sur la marque qu’étant entendu que la
saisie-contrefaçon est un mode de preuve préconstituée en vue de l’exercice
dans un délai de dix jours de l’action en contrefaçon de la marque, la partie
qui la pratique est présumée détenir sur celle-ci un droit ; qu’ainsi, point
n’est besoin de statuer sur le droit de propriété sur cette marque avant de
juger de la régularité de la saisie-contrefaçon ;
Attendu que dans ces conditions, la demande incidente de l’intimé
ne paraît pas se rattacher par un lien suffisant à la prétention originaire de
l’appelant ; qu’en décidant que la véritable question qui se pose est celle de
la propriété de la marque au lieu de s’en tenir à l’appréciation des conditions
de validité de la saisie-contrefaçon pratiquée par l’intimé, le premier juge a
violé le principe de l’immutabilité du cadre du procès ; qu’il y a lieu
d’infirmer sa décision sur ce point et de se prononcer sur les demandes
initiales de l’appelant ;
Sur la régularité de la saisie-contrefaçon
Attendu qu’en vertu des dispositions de l’article 49 de l’Annexe
III de l’Accord de Bangui, à défaut pour celui qui procède à la
saisie-contrefaçon de se pouvoir en contrefaçon « dans le délai de dix jours
ouvrables, la description ou saisie est nulle de plein droit ...» ; qu’en
l’application des dispositions de l’article 46 de la même annexe, les actions
civiles relatives aux marques sont portées devant le Tribunal Civil statuant au
fond, toutes les fois qu’elle ne relèvent pas expressément de la compétence du
président dudit Tribunal statuant par ordonnance ;
Attendu qu’en l’espèce, il est constant que l’intimé a pratiqué la
saisie-contrefaçon le 02 janvier 2009 ; qu’il disposait ainsi d’un délai de dix
jours ouvrables à compter de cette date pour intenter l’action en contrefaçon
relativement aux produits présumés contrefaisants ; qu’il n’a toutefois pas
intenté cette action à la date du 27 Janvier 2009 où l’appelant a saisi le
premier juge ; que la saisie-contrefaçon par lui pratiquée est donc nulle de
plein droit ;
Attendu que le fait en l’espèce que l’appelant ait préalablement
saisi le juge de l’urgence ou que l’intimée ait entre-temps donné mainlevée
volontaire après avoir été attrait en justice est sans incidence sur cette
nullité ; qu’à ce propos, le premier juge a, à bon droit, relevé qu’une nullité
même de plein droit doit être constatée par le juge ; qu’en réalité, c’est bien
à ce constat qu’il est invité à procéder lorsqu’il lui est demandé de constater
les manquements dans la procédure de saisie au regard de l’article 49 de
l’Annexe III de l’Accord de Bangui ; qu’en subordonnant comme il l’a fait le
bien-fondé de cette demande à l’existence d’une décision préalable de nullité
alors même qu’il lui appartenait de constater cette nullité, il a tout
simplement ajouté aux dispositions de l’article 49 précité une condition qui
n’y est pas prévue ;
Attendu qu’au regard de ce qui précède, il y a lieu de constater
la nullité de plein droit de la saisie-contrefaçon pratiquée le 02 Janvier 2009
par l’intimé pour avoir manqué de se pourvoir en contrefaçon dans le délai
légal ;
Sur les dommages-intérêts
Attendu qu’aux termes des dispositions de l’article 49 de l’Annexe
III de l’Accord de Bangui, « à défaut pour le demandeur de s’être pourvu, soit
par la voie civile, soit par la voie correctionnelle, dans le délai de dix
jours ouvrables, la description ou saisie est nulle de plein droit sans
préjudice des dommages-intérêts qui peuvent être réclamés s’il y a lieu » ;
Attendu qu’en l’espèce, l’appelant sollicite la condamnation de
l’intimé à lui payer la somme de cent millions (100.000.000) de francs CFA à
titre de dommages-intérêts pour avoir immobilisé le camion contenant les
produits présumés contrefaisants avec ceux-ci depuis la date du 02 Janvier 2009
; que l’intimé résiste à cette demande en prétendant que les dispositions de
l’article 49 de l’Annexe III de l’Accord de Bangui impliquent une intention de
nuire et que l’appelant qui est contrefacteur de mauvaise foi ne peut se
prévaloir des dispositions bienveillantes de la loi ;
Attendu cependant que les dispositions de l’article 49 précité
n’exigent nullement la preuve d’une intention de nuire ; qu’une telle exigence
est d’autant plus inopportune que la saisie-contrefaçon même valablement pratiquée
et de bonne foi est susceptible de causer des préjudices au propriétaire des
produits présumés contrefaisants ; qu’en outre, dans la mesure où la pratique
de la saisie-contrefaçon induit simplement une présomption de propriété de la
marque et, a contrario, une présomption de contrefaçon tant qu’une décision
n’est pas intervenue sur ce point, l’on ne peut opposer à la demande de
dommages-intérêts, formulée en cas de nullité de plein droit de la
saisie-contrefaçon, la qualification de contrefacteur de mauvaise foi du
demandeur ;
Attendu que l’immobilisation au-delà du délai légal d’une
cargaison des marchandises présumées contrefaisantes par l’exercice d’une
prérogative exorbitante du droit commun destinée à se constituer une preuve en
vue d’une procédure future crée sans nul doute un préjudice certain au
propriétaire desdites marchandises ; qu’ainsi, la demande de l’appelant qui
fait état d’un tel préjudice est fondée dans son principe ; qu’elle parait
cependant exagérée quant au montant sollicité pour la réparation dudit
préjudice, qu’il convient dès lors de fixer le montant des dommages-intérêts à
la somme raisonnable de vingt millions (20.000.000) francs CFA et de condamner
l’intimé à lui payer ladite somme ;
Sur la propriété de la marque « COOKZEN »
Attendu que reconventionnellement, les intimés revendiquent la
propriété de la marque « COOKZEN » et la condamnation de l’appelant à
des dommages-intérêts pour procédure abusive
Attendu que les pièces versées aux débats démontrent aisément que
la marque disputée a été dans un premier temps enregistrée par les intimés,
puis dans un second temps par l’appelant ; que cependant, durant la procédure,
l’appelant a toujours soutenu qu’il tenait son droit d’utilisation de la marque
« COOKZEN » de la société HANGZOU RICHLAND FOODS CO.LTD, société
chinoise qui a déposé la marque en premier, bien avant même les intimés ; que
c’est elle donc qui est la véritable propriétaire de la marque, qui l’a
autorisé à l’enregistrer et à l’utiliser suivant un contrat d’exclusivité qui
les lie à cette société chinoise ; qu’il est versé aux débats une décision de
l’OAPI en date du 22 Juin 2010 portant radiation de l’enregistrement des
intimés sur opposition de la société HANGZOU RICHLAND FOODS CO.LTD, ce qui
confirme les affirmations des appelants ; que dans ces conditions, c’est à tort
que les Établissements SOLA continuent de revendiquer la propriété de la marque
; que seule, la société HANGZOU RICHLAND FOODS CO.LTD, propriétaire de la
marque peut s’opposer à l’enregistrement de celle-ci et à son utilisation par
l’appelant ; qu’il échet de débouter en conséquence, les Établissements SOLA de
leur demande tendant à l’annulation de la marque et par conséquent à la
condamnation de l’appelant à lui servir des dommages-intérêts ;
Attendu que la partie qui succombe doit être condamnée aux dépens
; qu’il échet de condamner les intimés aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les
parties en matière civile et en appel ;
Sur la violation des articles 38 et 39 du Code de Procédure Civile
Dit et juge que le premier juge a violé les articles susvisés ;
En conséquence, annule le jugement entrepris
Evoquant
Constate la nullité de plein droit de la saisie-contrefaçon par
les Établissements SOLA le 02 Janvier 2009 sur la marchandise de l’appelant
pour défaut d’agir au fond dans le délai de dix jours prescrit par la loi ;
Déclare en conséquence fondée la demande en réparation du
préjudice causé par cette saisie ;
Les condamne à payer à l’appelant la somme de vingt millions
(20.000.000) de francs CFA à titre de dommages et intérêts ;
Sur la demande reconventionnelle
Constate que la marque « COOKZEN » est la propriété de
la société HANGZOU RICHLAND FOODS CO.LTD qui seul peut s’opposer à
l’utilisation de la marque par l’appelant ;
Par conséquent, déboute les intimés de toutes leurs demandes, fins
et conclusions ;
Condamne les Établissements SOLA aux dépens.